En 1788 et au début de 1789, Rennes est secoué par des troubles en marge de la tenue des États de Bretagne qui détermine la politique fiscale de la province. La bourgeoisie des villes bretonnes réclame plus de pouvoir, ce que conteste l’aristocratie qui entend conserver ses privilèges. Une opposition qui préfigure les débuts de la Révolution française quelques mois plus tard.
Peut-être provoquée par l’irruption d’un volcan islandais, l’Europe connaît une série d’hivers particulièrement rigoureux à la fin des années 1780. Les récoltes sont mauvaises, la famine touche de nombreuses régions, la révolte gronde… En ce mois de décembre 1788, le froid est particulièrement vif sur les bords de la Vilaine, à Rennes, où les délégués des États de Bretagne arrivent de toute la péninsule pour leur session. En France, Louis XVI avait annoncé la réunion des États généraux du royaume au printemps 1789, afin de répondre aux doléances de son peuple. La question de la représentativité des délégués - la noblesse et le clergé avaient plus de représentants que le Tiers État, c’est-à-dire de l’écrasante majorité de la population – était au cœur des débats. Elle se posait également pour les États de Bretagne et avait été soulevée dès le mois de mai 1788.
Des troupes pour maintenir l’ordre
Le 10 mai 1788, en effet, le comte de Thiard, commandant des armées en Bretagne et l’intendant Bertrand de Moleville se rendent au parlement de Bretagne afin de faire enregistrer les ordres du roi rognant sur les prérogatives des institutions bretonnes. La résistance procédurale des conseillers du parlement dure sept heures, mais les édits royaux sont enregistrés. Une foule de plusieurs centaines de jeunes gens se rassemblent pour protéger les parlementaires. Ils sont menés par Victor Moreau, un futur révolutionnaire. Dans les semaines qui suivent, les protestations se multiplient tant de la part de la noblesse que de la bourgeoisie.
Le comte de Thiard fait venir plusieurs milliers d’hommes de troupes pour sécuriser Rennes. Il doit faire face à la démission des officiers du régiment de Penthièvre. Les membres du Parlement décident de se réunir malgré l’interdiction. Prévenus qu’ils vont être arrêtés, le 2 juin à l’aube, les parlementaires s’échappent et se réunissent à l’hôtel de Cuillé. Une foule importante se masse à proximité et s’en prend aux dragons et aux soldats venus arrêter les frondeurs. Estimant être en danger, l’intendant de Moleville regagne Versailles le 9 juillet. Thiard est remplacé par le maréchal de Stainville qui arrive à Rennes avec dix mille soldats. Des émeutes de la fin ont régulièrement lieu. Le roi cède. Le 8 octobre, les parlementaires regagnent leur palais sous les ovations de la foule.
Rôle croissant de la bourgeoisie
Comme lors de l’affaire Le Chalotais, cette agitation oppose avant tout l’aristocratie bretonne qui se pose en garante des libertés de la Bretagne et le pouvoir royal. Mais un nouvel acteur se pose en arbitre : le Tiers État. Les populations rurales en composent l’essentiel, mais la bourgeoisie urbaine prétend le représenter et peser politiquement. Elle va peu à peu jouer un rôle prépondérant. Le tiers État demande en effet des réformes fiscales et une meilleure répartition des représentants aux États de Bretagne, convoqué pour le 29 décembre. Mais les nobles ne veulent rien céder. Fin décembre, noblesse et bourgeoisie rassemblent leurs partisans. L’agitation est à son comble.
Après l’ouverture des États, les délégués du Tiers État pratiquent une politique d’obstruction afin de voir leurs revendications aboutir. Deux jours plus tard, la session est suspendue en attendant une décision du roi. Le 7 janvier, le roi ordonne une suspension d’un mois pour réunir de nouveaux cahiers des charges. Le lendemain, la noblesse proteste et refuse de siéger dans une assemblée modifiée. Avec le clergé, ils décident de continuer leurs travaux. Mais à la fin janvier, des émeutes éclatent. Ce blocage n’est pas sans conséquences : c’est en effet pendant qu’ils se tiennent qu’est déterminée la question des taxes et des contributions que doit verser la province au trésor royal. La Bretagne dispose en effet d’un statut fiscal particulier, héritier du duché et qui permet à ses habitants de payer moins d’impôts. Le ministre de Louis XVI, Necker, avait reconnu qu’un laboureur breton payait ainsi moins de taxes que son équivalent dans les provinces limitrophes.
Le 20 janvier, un arrêt royal semble donner raison au bourgeois sur la question de la représentativité en octroyant autant de députés au Tiers qu’aux deux autres ordres réunis. Mais les représentants du Tiers restent fermes sur leurs autres revendications et refusent de revenir siéger. La situation se tend et les journées du 26 et 27 janvier voient la situation dégénère dans Rennes.
La fin des États de Bretagne
Sur l’incitation du comte de Thiard et afin de calmer les esprits, Louis XVI décide de suspendre indéfiniment les États de Bretagne. Des gentilshommes bretons se rendent alors à une réunion d’étudiants rennais et nantais afin de les supplier de convaincre le Tiers État de protester contre cette suspension. Mais les représentants du Tiers refusent de défendre une constitution et une institution qu’ils jugent trop favorables à l’aristocratie. Le 6 février 1789, les étudiants rennais et nantais signent un pacte d’entraide mutuelle. Il sera renouvelé l’année suivante, à Pontivy.
La fracture entre l’aristocratie et le peuple semble alors consommée, annonçant les bouleversements qui allaient suivre dans les mois suivant avec la convocation des États généraux du royaume. D’une certaine manière, c’est bien à Rennes que la Révolution française a commencé.
Encadré : la journée des bricoles
À la fin du XVIIIe siècle, une bricole était une lanière de cuir passée autour du coup pour traîner une voiture. Les porteurs de bricoles englobaient tout ce petit peuple – portefaix, porteurs d’eau, porteurs de chaise, domestiques divers – qui travaillait à Rennes pour les juristes, les riches commerçants et la noblesse de robe. Alors que les représentants de la noblesse et du Tiers État s’affrontent en ce début du mois de janvier 1789, des aristocrates imaginent de pousser à une manifestation populaire, pour défendre le rôle des nobles et des États de Bretagne. Réunis le 26 janvier au matin, sur l’actuel Champs-de-Mars, des centaines de personnes écoutent des orateurs leur expliquer que les bourgeois de Rennes vont les affamer par leurs manœuvres politiques. Ils se rendent ensuite au parlement au cri de « vive la noblesse ». Des heurts ont lieu entre des porte-chaises et de jeunes bourgeois. Commandés par Moreau, des étudiants en droit s’arment et patrouillent alors en ville. Le 27, ils se rendent au parlement et exigent qu’on leur livre un valet coupable d’une agression contre un commerçant de la ville. N’obtenant pas de réponse claire, ces jeunes bourgeois se rendent alors au couvent des cordeliers tout proche où se sont rassemblés les représentants de la noblesse. Des coups de feu sont échangés entre les deux parties. Des affrontements à l’épée ont lieu tout autour du parlement. Deux jeunes nobles sont tués. Le lendemain, les échauffourées recommencent. Six cents nobles et leurs hommes se réunissent aux cordeliers. Les Bourgeois et les étudiants sont à l’hôtel de ville où les rejoignent plusieurs centaines d’étudiants nantais encore plus radicaux. Le gouverneur de Bretagne tente une médiation et, finalement, la noblesse déclare « renoncer à sa vengeance ». Présent sur les lieux pendant ce qu’on a appelé la « journée des bricoles », François-René de Chateaubriand y voit les « premières gouttes de sang versé par la Révolution ».