L’automobile est aujourd’hui la principale industrie en Bretagne, grâce notamment à Citroën qui s’est implanté à Rennes à partir des années 1950. Une décentralisation industrielle réussie, grâce notamment à une main d’œuvre d’« ouvriers-paysans » recrutés dans les campagnes de haute Bretagne.
Fondé en 1919, le groupe Citroën sort relativement épargné de la Seconde Guerre mondiale, pendant laquelle son outil de production a été épargné et ses ingénieurs ont continué à travailler. En 1948, ils sortent ainsi un nouveau véhicule, la 2 CV qui va connaître un succès suivi fulgurant, suivi, dans les années 1950, par celui de la DS. Les usines Citroën sont alors concentrées dans la région parisienne, mais elles peinent à assurer la production. L’entreprise décide de créer de nouvelles usines. Les dirigeants vont ainsi choisir d’implanter à Rennes une première unité de production de roulements à bille et de pièces de caoutchouc. Les salaires y sont effet de 25 à 30 % plus bas qu’en région parisienne, ce qui amortit considérablement les coûts d’acheminement de ces pièces vers les chaines de montage parisiennes. L’usine de la Barre-Thomas, route de Lorient, ouvre ses portes en 1953 et embauche rapidement mille cinq cents ouvriers. Citroën appartient à l’époque au groupe Michelin qui, dans la foulée, va décider de créer une usine dans la région vannetaise.
Le temps des AMI
Dans le courant des années 1950, les ingénieurs de Citroën créent un nouveau véhicule grand public, l’AMI 6, pour lequel il est décidé de créer une usine dédiée. Les dirigeants de l’entreprise souhaitent l’implanter dans la région parisienne mais le gouvernement de la Quatrième république vient de prendre les premières mesures en faveur de l’aménagement du territoire et des décentralisations industrielles. C’est la Champagne qui a d’abord les faveurs du conseil d’administration, avant que le Comité d’études et de liaisons des intérêts bretons (Celib) et les élus bretons ne s’invitent dans ce choix.
Lobbying breton
Grâce au réseau des cadres bretons de la région parisienne, les dirigeants du Celib ont en effet eu vent des projets de Citroën. Ils n’ignorent pas que le PDG du constructeur automobile, Pierre Bercot, possède une propriété à Beg-Meil où il passe régulièrement ses vacances. Durant l’été 1955, l’un des hommes forts de la vie politique bretonne, très impliqué dans le Celib, René Pléven, invite Pierre Bercot pour un déjeuner informel. Au digestif, rejoints par Joseph Martray, ils évoquent la possibilité d’une implantation à Rennes. Si Pierre Bercot ne s’engage pas, il ne se montre pas non plus hostile, soulignant que les dirigeants de Citroën et de Michelin sont très satisfaits de la main-d’œuvre bretonne. Il la qualifie d’ailleurs de « calme et qualifiée ».
Cette première rencontre informelle sera suivie de plusieurs mois de lobbying intensif de la part des élus bretons. Une telle implantation industrielle leur apparaît en effet cruciale pour la Bretagne de l’époque, dont l’agriculture se modernise rapidement ce qui a pour effet de provoquer un exode rural important et le départ des milliers de jeunes Bretons, notamment vers Paris. En créant une importante usine à Rennes, l’idée est donc de créer un pôle de croissance suffisamment puissant pour arrêter cette émigration. Le maire de Rennes, Henri Fréville parvient à faire classer sa ville dans les zones critiques pouvant recevoir des aides gouvernementales en cas d’implantation industrielle. A noter que les élus bretons et les dirigeants du Celib œuvrent discrètement, pour ne pas dire secrètement, afin de ne pas mécontenter les chefs d’entreprises rennais, inquiets de manquer de main d’œuvre dans l’hypothèse de l’arrivée d’une usine automobile.
la construction de l’usine de la Janais
Un samedi de juillet 1958, Antoine Chatel, jeune maire de 26 ans de Chartres-de-Bretagne, a eu la surprise de voir une demi-douzaine de DS sa garer devant son domicile et d’en voir sortir Pierre Bercot, PDG de Citroën, venu lui annoncer que sa commune avait été choisie pour l’implantation d’une usine d’automobile. Les terrains avaient été sélectionnés, dans le plus grand secret, sur clichés aériens… Le lieu dit la Janais (« le champ d’ajonc » en gallo) se prêtait bien à cette installation. Il était en effet situé près de la voie de chemin de fer Rennes-Quimper et dans le prolongement de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, une zone peu urbanisée. Pendant plusieurs mois, Antoine Chatel va s’atteler à convaincre la trentaine de propriétaires avant que les travaux ne démarrent au début de 1959. Une entreprise pharaonique qui va mobiliser pendant plusieurs mois des milliers d’ouvriers. Trois mille arbres sont ainsi abattus et près de cinq cent mille mètres cubes de terre sont déplacés… La première 4x4 voie bretonne, la rocade sud de Rennes est édifiée dans la foulée. La sociologie de la commune est bouleversée : en 1958, elle comptait à peine un millier d’habitants, cinquante ans plus tard, elle est devenue l’une des principales agglomérations périphériques de Rennes, accueillant notamment de nombreux cadres de l’usine et bénéficiant de nombreux équipements culturels et sportifs, financés par les retombées fiscales de l’usine Citroën.
Ouvriers et paysans
Si elle est synonyme de croissance économique, l’implantation d’une usine moderne d’automobiles est une source de profonds bouleversements pour un territoire. La principale difficulté pour le constructeur réside dans le recrutement de plusieurs milliers d’ouvriers. Pendant les Trente Glorieuses, les constructeurs français ont habituellement eu recours à l’immigration, notamment depuis l’Afrique du Nord, pour répondre à ces besoins. Sauf dans le cas de Rennes, où Citroën a choisi d’employer essentiellement des ruraux de haute Bretagne. Peu de cités ouvrières ont ainsi été construites pour les « citroënistes » qui ont d’ailleurs boudé la ZUP sud de Rennes construite à proximité de l’usine.
Citroën a rapidement mis en place un réseau très dense de ramassage en bus dans les campagnes rennaises, jusqu’à Ploërmel dans le Morbihan. De nombreux paysans, possédant des fermes modestes, ont été attirés par la perspective d’un emploi fixe dans la nouvelle usine, leur procurant ainsi un complément de revenus à leurs activités agricoles. Il est vrai que la taille moyenne des exploitations agricoles n’était alors que de quatorze hectares sur ce territoire, ce qui ne permettait plus qu’une agriculture de subsistance.
Citroën a donc trouvé une main d’œuvre abondante et motivée. Dans les années 1960, le taux d’absentéisme pour maladie était quatre fois inférieur à Rennes que dans les usines parisiennes. Sauf à la fin de l’été, pendant les grands travaux agricoles… Les dirigeants de Citroën ont alors fait pression sur les autorités préfectorales pour que les subventions ne soient plus accordées qu’aux exploitations de plus de vingt hectares, accélérant le processus de concentration des terres agricoles. Nombre d’ouvriers de Citroën ont revendu leurs terres, ne gardant que quelques hectares exploités en complément. Cette population d’ « ouvriers-paysans » a longtemps constitué l’une des originalités du secteur automobile breton.
Implanté depuis maintenant un demi-siècle à Rennes, Citroën continue d’ailleurs d’embaucher dans tout le bassin rennais. Avec la Défense, l’automobile est aujourd’hui l’une des principales industries bretonnes, employant, outre l’usine de la Janais, des milliers de salariés dans la sous-traitance. Avec les Télécoms, une autre décentralisation industrielle réussie, ce secteur continue de contribuer au développement économique de la Bretagne contemporaine.
Pour en savoir plus :
Collectif sous la direction de Jean-Jacques Monnier et Michel Denis, Histoire de la Bretagne au XXe siècle, Skol Vreizh, 2010.