Le Festival interceltique de Lorient est devenu, en quarante ans, l’un des plus importants événements culturels d’Europe. Il constitue également l’une des manifestations les plus visibles de l’interceltisme, concept né au XIXe siècle et visant à resserrer les liens entre les différents pays ayant conservé une langue ou une culture d’inspiration celtique.
L’interceltisme moderne est une construction culturelle et politique qui puise ses racines dans le souvenir plus ou moins exalté de la civilisation celtique antique. Dans les derniers siècles avant notre ère, des îles Britanniques à la Turquie, du Portugal à la Hongrie, une vaste civilisation s’est en effet développée en Europe, englobant très tôt l’Armorique. Loin d’être homogène, cette civilisation semble avoir cependant possédé des éléments religieux, sociaux et culturels communs. Elle se heurte à l’expansionnisme de Rome qui, peu à peu, envahit la majeure partie des territoires celtes. Au début du Moyen Âge, plusieurs « finistères celtiques » à l’ouest de l’Europe développent une nouvelle culture originale, à laquelle la péninsule armoricaine, devenue la Bretagne est intégrée. Au XIXe siècle, les quelques régions européennes où sont parlées des langues celtiques (Bretagne, Cornouailles britannique, Écosse, île de Man, Irlande et pays de Galles) voient se développer des mouvements régionalistes ou nationalistes qui mettent en avant ce caractère celtique. Parmi ces pays, on distingue d’ailleurs ceux de langue brittonique (Bretagne, Cornouailles et pays de Galles) et ceux de langue gaélique. Il existe par exemple de nombreux mots communs entre le breton et le gallois, dont la manière de compter.
Premiers échanges interceltiques
L’interceltisme moderne a d’abord été une affaire d’intellectuels et d’érudits. En 1838, une délégation bretonne est reçue lors de l’Eisteddfod, le grand rassemblement culturel gallois. Trente ans plus tard, les Bretons organisent un Congrès celtique international, en 1867, à Saint-Brieuc. Il est surtout marqué par la querelle autour du Barzaz Breiz de La Villemarqué. Les retrouvailles deviennent plus régulières dans les premières années du XXe siècle, lorsqu’est créé le congrès panceltique, qui est devenu de nos jours le congrès celtique. La Première Guerre mondiale interrompt un temps le mouvement, notamment lorsqu’une partie de l’Irlande se soulève en 1916, avant d’obtenir la création d’un État libre dans les années 1920.
L’interceltisme des années 1900 a influencé le mouvement culturel breton de l’époque, dont quelques membres vont créer un Gorsed des druides, bardes et ovates de Bretagne, sur le modèle du mouvement néodruidique gallois. Dans l’entre deux guerres, ce Gorsed, animé par des personnalités comme Taldir Jaffrennou, se montre particulièrement actif en matière d’initiatives interceltiques. Le Gorsed et Taldir Jaffrennou sont ainsi à l’origine du premier « festival interceltique » de Bretagne, qui se tient à la mi-août 1927, à Riec-sur-Belon. Plusieurs milliers de personnes viennent assister au tournoi de lutte interceltique, au défilé des pipe-bands écossais et aux concerts de chœurs gallois. Cinq menhirs et un dolmen en « aggloméré de grès et de ciment » ont été construits pour les cérémonies néodruidiques qui donnent un aspect pittoresque incontestable à ce premier festival. Dans les années 1930, les fêtes du Gorsed de Bretagne accueillent régulièrement des délégations d’autres pays celtiques.
Brest perd ses cornemuses
Après la Seconde Guerre mondiale, les Bretons vont acclimater deux instruments venus d’outre-Manche : la harpe celtique et la grande cornemuse des Highlands. Ces deux instruments étaient déjà pratiqués avant guerre par quelques pionniers, mais ils vont connaître un grand succès dans les années 1950-1960. En 1943 est ainsi créée la Bodadeg ar sonerion (BAS), l’union des sonneurs qui va être l’une des chevilles ouvrières du renouveau musical breton contemporain. Sous son égide, à la fin des années 1940, se créent les premières « cliques » de sonneurs bretons sur le modèle des pipe-bands écossais. Ils vont rapidement prendre le nom de bagadoù, « groupes » en breton.
Le nombre de bagadoù augmente rapidement. BAS lance, en 1953, un concours pour les départager. Très vite, la manifestation qui s’installe à Brest, prend le nom de « festival international des cornemuses ». Des Écossais et des Irlandais sont en effet régulièrement invités pour participer au jury ou pour venir se produire. Dans les années 1960, un « champion de Bretagne des Bagadoù » est désigné tous les ans. Mais à la fin de la décennie, un différent oppose la municipalité de Brest à la BAS concernant l’emplacement du festival. La BAS décide de quitter la cité du Ponant.
Le Festival interceltique de Lorient
C’est désormais Lorient qui va accueillir, à partir de 1971, le festival international des cornemuses qui va rapidement se transformer en festival interceltique de Lorient, sous l’impulsion de Jean-Pierre Pichard qui va diriger le « FIL » jusqu’aux années 2000. Comme il peine à recevoir des subventions du ministère de la culture, il a l’idée de se tourner vers l’Irlande et les autres pays celtes pour financer la manifestation qui devient rapidement une vitrine pour la culture bretonne mais également pour les autres musiques celtiques. Le public breton découvre ainsi les grands noms de la musique irlandaise, écossaise ou galloise. Une chanteuse cornique, Brenda Wootton, devient la coqueluche du FIL.
Le succès de la manifestation tient également au revival de la musique celtique des années 1970, après notamment le succès à l’Olympia en 1972 d’Alan Stivell. Devenu une star internationale, ce dernier n’aura de cesse de défendre l’idée d’une communauté commune entre tous ces peuples. Le festival de Lorient a également permis d’intégrer dans la grande famille celtique les régions espagnoles de Galice et des Asturies. Ces dernières années, le musicien galicien Carlos Nunez a ainsi acquis le statu de vedette musicale en Bretagne grâce au FIL.
En 2010, le festival interceltique de Lorient va fêter ses quarante ans. Ses organisateurs revendiquent près de cinq cent mille visiteurs, ce qui en fait l’un des plus grands événements culturels européens. Créé par des historiens et des érudits passionnés, l’interceltisme moderne a servi à maintes reprises de laboratoires d’idées en Bretagne. Grâce au festival de Lorient, il est aussi devenu un moment de convivialité et de fête, ce qui lui a permis de conquérir un vaste public.
Polig Montjarret, un pionnier de l’interceltisme
Sa curieuse statue, installée sur un banc de la place des pêcheurs est devenue l’un des points de rendez-vous des festivaliers qui aiment se faire photographier à côté de ce personnage en bronze. Polig Montjarret continue ainsi de participer au festival interceltique qu’il a contribué à lancer. Il est en effet l’un des créateurs de BAS, qu’il a animé dans les années 1950. Lorsque le festival des cornemuses cherche une nouvelle ville après avoir quitté Brest, en 1970, ce Trégorrois installé à Plœmeur, propose naturellement Lorient. Il sera ensuite l’un des piliers de l’organisation. Polig Montjarret demeure également l’un des pionniers de l’interceltisme moderne en Bretagne. Outre son rôle dans l’implantation de la grande cornemuse et dans la création des premiers bagadoù, il s’est rendu plusieurs dizaines de fois en Irlande, travaillant sans relâche au développement des jumelages entre ce pays et des communes bretonnes. Il est également à l’origine du SPI, le secours populaire interceltique, qui a permis d’accueillir de nombreux enfants d’Irlande du Nord pour des vacances au calme, en Bretagne, lors de la guerre civile en 1968 et 1998.
Pour en savoir plus :
Collectif, Toutes les cultures de Bretagne, Morlaix, Skol Vreizh, 2005.
Jean-Pierre Pichard, Temps interceltiques, Éditions du Layeur, 1999.
Alan Stivell, Joël Verdier, Telenn, la harpe bretonne, Brest, Éditions du Télégramme, 2004.
Armel Morgant, Bagad, l’invention d’une nouvelle tradition, Spézet, Coop Breizh, 2005.