Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Histoires de Bretagne

Un blog d'Erwan Chartier-Le Floch

Anne de Bretagne, la dernière duchesse

Publié le 17 Janvier 2014 par ECLF in Histoire de Bretagne

annebzh.jpg 

En 1514, il y a cinq cents ans, Anne de Bretagne s’éteint au terme d’une existence particulièrement mouvementée. Mariée à un empereur et deux rois de France, elle demeure la dernière souveraine d’un duché de Bretagne quasi-indépendant dont elle a vaillamment défendu le statut. Elle demeure la plus célèbre Bretonne de l’histoire de France.

Anne de Bretagne est née en 1477, au Moyen Âge, dans un duché de Bretagne indépendant et prospère, elle meurt reine de France, dans une Europe de la Renaissance où se multiplient prouesses artistiques, découvertes géographiques et avancées scientifiques. Anne « de Bretagne » disparaît au terme de 37 années particulièrement denses. Elle est encore une enfant lorsque son père décède, quelques mois après la terrible défaite de Saint-Aubin-du-Cormier. Dès lors, le destin ne va guère l’épargner et va contribuer à forger un caractère étonnant. Entourée de conseillers fidèles et attachés aux libertés bretonnes, elle continue la lutte contre les troupes françaises. Vaincue militairement, elle doit capituler en 1491. Elle fait partie du butin du vainqueur, le roi de France Charles VIII qui l’épouse quelques mois plus tard, sans même attendre de dispense papale annulant son précédent mariage.

La petite Brette

La « petite Brette » fait d’abord le dos rond. Elle encaisse les brimades d’un mari plutôt frustre, heureusement régulièrement parti guerroyer en Italie. Elle apprend à se faire respecter. Saint-Gelais nous dit qu’elle était crainte des courtisans. Brantôme, dont une partie de la famille a servi Anne, évoque également une certaine dureté envers ses serviteurs, qu’elle sait cependant récompenser royalement lorsqu’elle est satisfaite. Avec Charles VIII qu’elle n’aime pas, Anne de Bretagne tente de tenir son rang de duchesse et de reine. Elle alterne également les grossesses - une dizaine au cours de sa vie -, mais aucun enfant qu’elle a avec Charles VIII ne survit.

Deux fois sacrée reine

On ne la devine guère affligée lorsque son royal époux décède d’un bête et anodin accident dans leur château d’Amboise. Charles VIII a, semble-t-il, glissé et s’est cogné la tête dans un escalier. Anne a 21 ans. Elle est veuve. Elle se remarie au successeur de Charles, Louis XII dès 1499. Par nécessité politique sans doute, mais pas seulement car il semble y avoir du sentiment entre ces deux-là. Avant d’être roi de France, Louis n’a-t-il pas été un aristocrate frondeur, un temps réfugié à la cour d’un duc de Bretagne pour lequel il combattra contre Charles VIII jusque 1487 ? Fait unique dans l’histoire de France, Anne exigera d’être sacrée reine de France une seconde fois à Saint-Denis.

Louis XII se montre en tout cas beaucoup plus respectueux des droits de son épouse et de son duché. Cette dernière y a rétabli une certaine forme de souveraineté et va désormais gérer directement les affaires d’une péninsule qui dispose de ses propres institutions. Catholique fervente, elle nomme elle-même des ecclésiastiques de confiance à la tête des évêchés bretons. C’est en duchesse souveraine qu’elle correspond avec les papes de son époque, auxquels elle multiplie les signes de ferveur et de fidélité, même lorsque ceux-ci appartiennent à la famille des Borgia.

Loin d’être la pauvre « duchesse en sabot » décrite plus tard, Anne de Bretagne est en fait une fine politique qui a su renégocier les clauses de son contrat de mariage. Il y a, chez elle, du Prince de ce Machiavel qu’elle probablement rencontré. Elle s’oppose ainsi farouchement au mariage de sa fille Claude au futur François Ier qui annexera le duché en 1532. D’ailleurs, si Anne avait eu deux héritiers mâles, la Bretagne aurait recouvert son indépendance. Grâce à Anne de Bretagne et aux résistances que rencontre le pouvoir royal, la Bretagne obtient un statut d’autonomie fiscale qui va perdurer pendant trois siècles.

Avec Louis XII, Anne comprend que le temps des humiliations est passé. Les Bretons qui lui sont restés fidèles dans les épreuves se voient désormais récompensés. En revanche, elle peut se montrer particulièrement rancunière. En 1506, elle obtient la condamnation de Pierre de Rohan, pourtant maréchal de Gié. Il appartient à une famille qu’elle exècre pour avoir trahi les intérêts du duché. Elle n’hésite pas à utiliser la corruption, l’intimidation et son accès privilégié au roi contre lui. « Elle estoit prompte à la vengeance et pardonoit malaisément », commente sobrement Brantôme.

Une popularité posthume.

Savante sans être lettrée, Anne a également le soucis de la postérité. Elle finance plusieurs ouvrages historiques sur la Bretagne (Le Baud, Bouchart, De Belges) qui contribuent à alimenter une flamme souverainiste, ravivée par Bertrand d’Argentré à la fin du XVIe siècle. Dès cette époque, la mémoire populaire commence à l’idéaliser. À partir du XVIIe, on lui consacre de nombreux récits, romans, pièces de théâtre et, surtout, chansons populaires. Dans le cœur des Bretons, le « temps de la duchesse Anne » devient celui d’une époque mythique, mêlant rêves de prospérité et de liberté. Et la plupart des villes de Bretagne conservent une « maison de la duchesse Anne » en souvenir de son « tro Breizh » triomphal, en 1505.

  

 Un cœur à Nantes

Décédée le 9 janvier 1514 au château de Blois, Anne de Bretagne va bénéficier de funérailles royales. Elle est enterrée dans l’abbaye Saint-Denis comme tous les souverains français. Cependant, quelques temps avant sa mort, Bretaigne, le héraut d’armes de la duchesse indique qu’elle : « commanda, pria, octroya et accorda que son cœur eust été porté en son pays et duché de Bretaigne, mys et enterré en sa cité et ville de Nantes avec ses père et mère ; duquel cœur elle faisait présent à ses Bretons, comme à ses bons amys et subjectz ». Le superbe tombeau qu’elle avait fait édifier pour ses parents – aujourd’hui dans la cathédrale de Nantes – est ouvert pour accueillir son cœur placé dans un superbe reliquaire. Il se compose d’une boîte en forme de cœur, constituée de valves en tôle d’or, réunies par une cordelière en or qui dissimule les jointures. En 1727, Gérard Mellier, maire de Nantes fait ouvrir le tombeau où est redécouvert le cœur d’Anne, enfermé dans trois coffrets. La pièce d’orfèvrerie a probablement été réalisée par des artisans à Blois. Pendant la Révolution, le tombeau de François II est profané. Après moults vicissitudes, le reliquaire sera finalement acquis par le conseil général de Loire-Atlantique. Longtemps au musée Dobrée, il est actuellement au musée du château des ducs de Bretagne à Nantes.

Pour en savoir plus :


Collectif, Toute l’histoire de Bretagne, Morlaix, Skol Vreizh, 2012.

Le Page Dominique, Nassiet Michel, L’Union de la Bretagne à la France, Morlaix, Skol Vreizh, 2003.

Georges Minois, Anne de Bretagne, Paris, Fayard, 1999.

Commenter cet article