En plein cœur du Léon, à Saint-Vougay, se dresse l’une des plus belles bâtisses bretonnes du XVIIe siècle, le château de Kerjean, construit par la famille Barbier. Outre son architecture ostentatoire, il est au cœur d’un magnifique domaine.
Aux XVe et XVIe siècles, la Bretagne connaît une grande prospérité, grâce à ses productions agricoles et à la fabrication de toiles exportées ensuite dans toute l’Europe et au-delà. Le Léon devient ainsi une zone de production importante de toiles de lin, qui sont ensuite exportées depuis les ports de Landerneau, Morlaix et Roscoff. Les négociants léonards s’enrichissent rapidement et vont traduire cette nouvelle prospérité dans la pierre.
C’est notamment le cas de la famille Barbier, deux frères qui ont acquis le manoir de Kerjean, à la fin du XVIe siècle. Ils ont accumulé des postes lucratifs : Jean est procureur à la cour de Landerneau, tandis que son frère Hamon, est ecclésiastique et titulaire d’une trentaine de charges. Le domaine est situé au cœur du plateau léonard, entre Lesneven et Saint-Pol-de-Léon. Il appartenait auparavant à une famille Ollivier. À l’instar de nombreuses familles aristocratiques, ces derniers avaient édifié une petite maison noble qui n’était sans doute pas fortifiée. Elle était vraisemblablement située à l’emplacement des grandes cuisines, dans l’aile gauche du château.
Un domaine Renaissance
Profitant de la fortune de son père et de son oncle, Louis Barbier décide de remplacer le manoir médiéval par une nouvelle résidence, édifiée suivant les nouvelles modes architecturales de la Renaissance et de l’âge classique, marquées par un retour des influences de l’Antiquité grecque et romaine. Par l’ampleur du programme de construction, il s’agit évidemment de montrer la richesse et la puissance de la famille. On ne connaît par le nom du maître d’œuvre, mais il a probablement été influencé par les grands architectes de l’époque comme Jacques Androuet du Cerceau, constructeur du Pont Neuf de Paris, Philibert Delorme, l’architecte des Tuileries ou les écrits de Sebastiono Serlio. En cette période troublée – les guerres de la Ligue se déroulent en Bretagne entre 1588 et 1598 -, les Barbier ceinturent le château de mur solide et font creuser des douves.
Kerjean demeure cependant un manoir breton. Il s’organise autour d’une vaste cour, entourée de deux ailes. Celles-ci sont consacrées aux activités agricoles et domestiques (écuries, remises, etc.). Seul le logis principal, flanqué de deux vastes pavillons abritait les propriétaires. Au centre de la cour, trône un magnifique puits surmonté de colonnes et d’un dôme de granit. Une galerie couverte permet aux seigneurs de se rendre à la chapelle privée sans avoir à traverser la cour centrale. L’entrée du château se fait progressivement. Tout est fait impressionner le visiteur : vestes perspectives du parc, douves et mur d’enceinte, portail monumental rappelant les arcs de triomphe antiques. Avec des salles d’apparat et de nombreuses chambres, l’intérieur du château de Kerjean était aussi destiné à impressionner.
Un marquisat
Les Barbier ont donc traduit leur réussite économique dans la pierre de Kerjean. Il leur restait à s’élever socialement. À la génération suivante, René Barbier intervient auprès du roi pour obtenir de nouveaux titres de noblesse. En 1618, Louis XIII qui estime que Kerjean est l’une des plus belles demeures de son royaume, élève le domaine en marquisat. Le château de Kerjean va alors servir de modèles à de nombreuses maisons nobles des environs.
A la fin du XVIIe siècle, le château sera quelque peu délaissé par ses propriétaires. Il retrouve tout son éclat au siècle suivant en devenant la propriété de la famille de Coatascorn. Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, Suzanne-Augustine de Coatascorn et son époux François-Gilles de Kersauzon, organisent des fêtes luxueuses et reçoivent régulièrement la noblesse léonarde. La Révolution française met à un terme à ses festivités. Arrêtée et jugée, Suzanne-Augustine de Coatascorn est guillotinée à Brest.
Le château de Kerjean est confisqué. Il abrite un temps une garnison avant d’être vendu comme bien national. Il est acheté par la famille Brilhac qui le transforme en carrière de pierre. Les propriétaires suivants le maintiennent en l’état, avant que le gouvernement ne le rachète en 1911 et ne le classe monument historique. Plusieurs projets germent alors. Le Gorsed des druides de Bretagne imagine ainsi en faire une Académie celtique, destinée à servir de conservatoire des traditions celtiques de Bretagne et de France. Mais l’État n’a guère de projets pour Kerjean. Il faut en fait attendre 1985 pour Kerjean n’entame une nouvelle résurrection. Cette année-là, il est mis à disposition du conseil général qui entreprend une vaste rénovation, achevée en 2005 et qui s’occupe de l’animer, notamment à travers de grandes expositions. Surnommé le « Versailles breton », Kerjean constitue aujourd’hui l’un des fleurons du patrimoine finistérien. En 2008, il a ainsi accueilli près de quarante mille visiteurs.
Pour en savoir plus :
Collectif, Toute l’histoire de Bretagne, Skol Vreizh, Morlaix, 2007.
Visiter Kerjean
Le château de Kerjean a beaucoup souffert lors de la période révolutionnaire, lorsqu’une partie du logis principal a été détruite. Le mobilier d’époque a également été vendu. Il demeure cependant un superbe exemple de l’architecture bretonne de la Renaissance. Après avoir admiré la cour d’honneur, la visite commence par les cuisines et l’impressionnante cheminée. On pénètre ensuite dans le pavillon nord-ouest et le logis principal. Le château conserve quinze chambres. Dans la plupart des pièces, on admirera les cheminées monumentales. Le grand escalier vaut également le coup d’œil. Plusieurs meubles de la Renaissance et des XVIIe et XVIIIe siècles sont exposés dans les combles de l’aile gauche. Chaque année, le château de Kerjean accueille une exposition. Cette année, elle est consacrée au cinéma en Bretagne et elle est l’occasion de revivre certaines scènes étonnantes : Brigitte Bardot en nonne au Cap Fréhel, Alain Delon nu sur une plage de Belle-Île ou Kirk Douglas vêtu en Viking, prenant d’assaut le Fort-Lalatte… Cette exposition évoque la fascination exercée par la Bretagne sur de nombreux cinéastes comme Jean Epstein, Jacques Demy, Jean Grémillon, Claude Chabrol ou Jacques Tati. Chacun d’entre eux a porté un regard différent et subjectif sur ce pays, contribuant aussi à forger bien des clichés modernes qui durent encore. En partenariat avec la cinémathèque de Bretagne, le musée de Bretagne et la bibliothèque de Rennes, l’exposition s’attache à montrer comment la Bretagne a été mise en scène au cinéma depuis plus d’un siècle, tout en apportant de nombreuses informations sur les techniques de tournage et l’histoire des salles de projection. Une programmation de films en plein air dans le parc est également prévue.
Château de Kerjean, 29440 Saint-Vougay. Tél. 02 98 69 93 69. E-mail : château@chateau-de-kerjean.com