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Histoires de Bretagne

Un blog d'Erwan Chartier-Le Floch

L’Armorique gauloise

Publié le 7 Mai 2012 par ECLF in Archéologie

 

 

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Depuis une trentaine d’années, les chantiers archéologiques dévoilent l’existence d’une civilisation gauloise beaucoup plus complexe et développée que l’on ne l’a longtemps cru à la seule lecture des auteurs romains. Couverte de fermes, de petites villes et de forteresses, l’Armorique gauloise apparaît comme une péninsule insérée dans l’Europe celtique.

 

 

 

Décrivant les Vénètes qu’il allait battre dans la seule bataille navale de la Guerre des Gaules, César indique que « ce peuple est de beaucoup le plus puissant de toute cette côte maritime : c’est lui qui possède le plus grand nombre de navires […] ; il est supérieur aux autres par sa science et son expérience de la navigation ; enfin comme la mer est violente et bat librement une côte où il n’y a que quelques ports, dont ils sont les maîtres, presque tous ceux qui naviguent habituellement dans ces eaux sont leurs tributaires. »

Pendant longtemps, les historiens n’ont disposé que de quelques passages dans la Guerre des Gauleset chez d’autres auteurs grecs et romains, pour se faire une idée des peuples d’« Aremorica », le « pays devant la mer », reconnu par le Grec Pythéas dès le IVesiècle avant notre ère. La civilisation gauloise dans la péninsule armoricaine est demeurée longtemps mystérieuse avant que la recherche archéologique ne bouleverse nos connaissances sur les Osismes (actuel Finistère et la partie ouest des Côtes d’Armor), les Vénètes (Morbihan), les Coriosolites (pays de Saint-Brieuc et Saint-Malo), les Riedones (pays de Rennes) ou les Namnètes (Nantes).

 

 

 

 

Une société guerrière

Les auteurs antiques s’accordent sur le caractère guerrier des Gaulois en général. Les Armoricains ont d’ailleurs causé quelques tracas à César en 56 avant J.C. Quatre plus tard, ils envoient encore une vingtaine de milliers d’hommes à l’armée gauloise venue au secours d’Alésia. Comme dans le reste de la Gaule, une aristocratie guerrière, que César nomme les equites, les « chevaliers » domine les peuples armoricains. Leur pouvoir s’assoit sur la propriété foncière et sur un solide système de clientélisme. Plusieurs sanctuaires découverts dans le Finistère sont liés à cette aristocratie guerrière celtique, comme celui de Tronoën, en pays bigouden, où plusieurs armes déformées ont été retrouvées. On retrouve également de nombreuses représentations de guerriers à cheval sur les monnaies armoricaines.

L’archéologie nous renseigne également sur les processus de militarisation de la société. Ainsi, les résidences du début de l’âge du Fer, au VIesiècle avant notre ère, peuvent atteindre de grandes surfaces comme à Paule, mais ne sont pas fortifiées. Elles sont très souvent associées à des souterrains qui servaient à entreposer des vivres, voire à les cacher en période de crise. L’une des caractéristiques de ce premier âge du Fer en Armorique réside dans l’érection de stèles de pierre (souvent décorées avec des cannelures) à proximité des cimetières. Aux Veet IVesiècles, la péninsule comme le reste du domaine celtique semble connaître une période de crise, notamment démographique. De nombreux domaines disparaissent.

 

 

 

Un territoire aménagé

Il faut attendre le IIIesiècle pour voir une nouvelle phase d’expansion. L’Armorique se couvre de fermes, de routes, de forteresses et de petites villes. Nombre de résidences aristocratiques sont fortifiées. Une première ligne de défense est assurée par un fossé en forme de V, profond plusieurs mètres. Il précède un ou plusieurs remparts en bois et en terre. Ces forteresses sont de taille variable. Certaines peuvent être comparées aux manoirs médiévaux, comme à Inguinel ou à Lansicat. D’autres atteignent des surfaces considérables comme à Paule. Contrôlant plusieurs voies de communication, cette dernière s’étendait sur plusieurs centaines d’hectares à la fin de l’époque gauloise. Elle était protégée par plusieurs remparts et abritait une petite agglomération.

Longtemps, on a en effet considéré la civilisation gauloise comme essentiellement rurale. Plusieurs fermes d’importance variable ont, en effet, été fouillées dans la péninsule, comme celle du Braden, à Quimper ou celle de Plouër-sur-Rance. Mais de récentes découvertes montrent des phénomènes d’urbanisation, constatés aux IIeet Iesiècles avant notre ère. Une petite agglomération a ainsi été mise au jour sur les rives du Steïr, à Quimper. Une autre s’est développée à proximité d’une forteresse à Trégueux.

 

 

 

Au cœur de l’Europe

L’importance du site gaulois de Paule comme l’abondance des découvertes récentes tendent à montrer que l’Armorique s’est très vite insérée dans le monde celtique antique, cette vaste civilisation qui s’étendait de l’actuelle Anatolie jusqu’aux îles Britanniques et à la péninsule ibérique. Il est d’ailleurs probable que les propriétaires de Paule étaient en relation avec d’autres familles de statut équivalent dans le reste de la Gaule. Les fouilles d’Ouessant ou du Yaudet indiquent que l’Armorique était déjà au cœur des échanges internationaux et notamment des routes de l’étain et du cuivre, reliant l’actuelle Grande-Bretagne au monde méditerranéen. Les Armoricains étaient également en relation avec les Romains bien avant la conquête, en témoignent les dizaines d’amphores de vin retrouvées.

Bâtissant en bois et en terre, les Gaulois armoricains ont laissé moins de traces monumentales que d’autres sociétés privilégiant la pierre. Grâce aux progrès de l’archéologie qui permet désormais de mettre au jour ces vestiges fragiles, c’est pourtant une société fort complexe et évoluée qui sort de terre. De quoi renouveler notre approche de l’histoire lointaine de la Bretagne.

 

 

Le camp d’Artus à Huelgoat

Alors qu’aujourd’hui le camp d’Artus ne présente plus que le charme désolé d’un vaste plateau désert et planté d’énormes blocs de granit, il devait présenter un aspect autrement plus imposant au voyageur de l’époque gauloise. Celui-ci trouvait d’abord une immense muraille, avec un parement de pierre, longue de 2,6 kilomètres et entourant ce site de 35 hectares. S’il est un des plus importants oppidums d’Armorique, le camp d’Artus est cependant modeste en comparaison d’autres sites de plusieurs centaines d’hectares comme le mont Beuvray en Bourgogne ou Avaricum (Bourges). Le camp d’Artus se divise en deux parties. La première, la plus étendue couvre une centaine d’hectares. La seconde, de quatre hectares, est le cœur du site et a été fouillée par un archéologue anglais, Wheeler, en 1938. Il a découvert qu’une muraille séparait les deux parties du site et qu’on accédait au centre du site par une porte monumentale de bois, comportant deux tours mitoyennes et surplombée par une galerie de bois.

Les fouilles de Wheeler ont aussi permis de mettre en évidence un important bâtiment circulaire à l’intérieur de cette partie de l’oppidum. Elles n’ont cependant pas permis de dire si l’éminence circulaire, à l’extrémité du site, était une motte castrale du Moyen Âge ou la base d’une tour gauloise. Huelgoat est un des rares sites en Bretagne présentant un « murus gallicus», ce mur gaulois dont parle César dans la Guerre des Gaules. Très solides, ces remparts étaient construits avec pierres disposées autours de coffrages de poutres de bois. Au final, ce rempart atteignait jusqu’à 3,5 mètres de haut pour une épaisseur maximale de 12 mètres. La construction d’un tel rempart à Huelgoat a nécessité des tonnes de fer pour les fiches et une masse considérable de bois. Le camp d’Artus était sans doute la « capitale » des Osismes. Bien plus qu’un refuge temporaire, il s’agit d’une « proto-ville », un centre urbain où vivaient un ou plusieurs milliers de personnes. On y trouvait des artisans et des espaces commerciaux. L’oppidum a ainsi pu accueillir des marchés de bétail, ses remparts protégeant les échanges d’éventuelles razzias. On connaît peu l’organisation politique des Osismes. Peut-être étaient-ils gouvernés par un sénat comme les Vénètes. Dans ce cas, Huelgoat a sans doute été l’un des centres de réunion de cette assemblée d’aristocrates. Le camp d’Artus a été abandonné très peu de temps après la conquête romaine. Le centre politique et économique des Osismes se déplace alors à quelques kilomètres de là, dans une nouvelle ville en construction : Vorgium devenue aujourd’hui Carhaix.

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