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Histoires de Bretagne

Un blog d'Erwan Chartier-Le Floch

La Celtomanie

Publié le 29 Avril 2012 par ECLF in Histoire de Bretagne

 

 

 

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A la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe siècle, une étrange pathologie touche certains milieux intellectuels, particulièrement en Bretagne : la celtomanie. Elle pare les Celtes de l'Antiquité de mille vertus, particulièrement leur langue – dont dérive le breton –, proclamée langue originelle de l'humanité. Quelque peu fantaisiste, ce courant de pensée a néanmoins profondément influencé la vie culturelle bretonne de l'époque.

 


S'il est indéniable que les Celtes ont constitué l'une des grandes civilisations européennes de l'Antiquité, s'étendant des îles Britanniques jusqu'à l'Anatolie, force est de reconnaître qu'ils nous demeurent très mystérieux, malgré les informations fournies par l'archéologie moderne. N'ayant laissé que peu de témoignages écrits, ils nous sont surtout connus par des auteurs grecs et latins dont la vision ne pouvait être que partielle. Leur culture nous demeure encore très méconnue, voire étrange, ce qui laisse une grande part à l'imagination pour s'en faire une idée. Il faut, sans doute, rechercher là un élément d'explication aux différentes modes intellectuelles qui, régulièrement, font ressurgir les Celtes de leur lointain passé.

 

 

Le succès d'Ossian

La chose n'a rien de nouveau et a pris diverses formes depuis le Moyen Âge. L'une des plus aigues se situe à la fin du XVIIIe siècle et son point de départ se situe en Ecosse. En 1765, un jeune auteur, James MacPherson commence à publier des textes qu'il dit avoir recueilli dans d'anciens grimoires médiévaux conservés dans les Highlands et les îles écossaises. En 1773, il fait paraître l'édition définitive des Oeuvres d'Ossian, appelées à un grand succès éditorial dans toute l'Europe. Napoléon lui-même avait fait de la version en italien l'un de ses livres de chevet.

 

MacPherson attribue les textes à Ossian, un héros irlandais du IIIe siècle, mais il s'agit d'une supercherie. L'Ecossais a emprunté des fragments d'épopées et de récits traditionnels gaéliques qu'il a ensuite réécrits avec, il faut le reconnaître, un talent certain. Malgré les polémiques, les écrits de Macpherson conquièrent l'Europe et contribuent à une vague celtique surfant sur le romantisme naissant.

 

Le Brigant, prince des celtomanes

Né à Pontrieux, en 1720, Jacques Le Brigant devient avocat au parlement de Rennes, où il ne plaide guère, préférant passer son temps à étudier l'histoire de son pays. Il se passionne pour la langue bretonne dont il devient un ardent promoteur, ce qui le pousse parfois à certaines théories farfelues. Il estime en effet que le bas breton est l'héritier d'une langue celto-scythe à l'origine de toutes les autres... Il met au point une méthode « monosyllabique » qui consiste à décomposer les mots, d'où qu'ils viennent, afin de leur retrouver une origine celtique. Langue primitive de l'humanité, le breton serait donc un langage universel. Productif, Le Brigant publie de nombreux ouvrages avant la Révolution qui rencontrent une certaine audience. Sa devise, valant programme, est « Celtica negata, negatur orbis » : qui nie la Celtie nie l'univers...

 

Le Brigant entreprend de parcourir l'Europe pour diffuser ses idées. Mais il n'est guère convaincant. Ses excès et sa puérilité rendent en effet la tache difficile. Voltaire qu'il a croisé en Hollande se moque de lui. Dans les salons parisiens, on se gausse et on lui tend un piège. On lui propose de servir d'interprète à un jeune Tahitien qui n'est en fait qu'un garçon des rues hurlant des sons gutturaux sans aucun sens. Le Brigant affirme qu'il peut le comprendre, provoquant l'hilarité de l'assemblée. On l'affuble du surnom de « prince des celtomanes », avant qu'il ne se retire dans son Trégor natal, où il meurt en 1804, quelques semaines avant la création d'une académie celtique.

 

L'académie celtique

La création d'une académie celtique, le 9 germinal an XII (30 mars 1804 illustre d'abord l'engouement français pour la redécouverte du passé gaulois depuis la Révolution. Cette nouvelle société se donne pour but de redécouvrir les vestiges archéologiques, linguistiques et coutumiers de l'ancienne Gaule. Fondée sous le patronage de l'empereur, on y compte de nombreux Bretons. Nombre d'entre eux tombent dans les excès de la celtomanie, dont Jacques Cambry, célèbre pour son Voyage en Finistère et considéré comme l'un des fondateurs de l'ethnologie moderne. Peu avant de mourir, ce Lorientais se fait ainsi représenter en druide. On y trouve également Le Gonidec, futur traducteur de la Bible en breton, grammairien et pionnier des relations interceltiques.

 

Chez ces érudits bretons, le rapport au celtisme peut être ambivalent ou double. Nombre d’entre eux semblent en effet partagés entre le désir de mettre en valeur un passé antique commun à la Grande-Bretagne et à la Bretagne, mais aussi une certaine forme de particularisme breton. En faisant du celtique et du breton son héritier, les idiomes originels de l’humanité, les celtomanes se disqualifiaient scientifiquement. Mais ils poursuivaient aussi un but tout à fait honorable : réhabiliter l’une des plus anciennes cultures d’Europe et participer à la sauvegarde d’un patrimoine linguistique déjà menacé. Surtout, ils allaient faire rêver leur public, annonçant d’autres vagues celtiques qui participent – suivant le mot de Max Weber – à réenchanter le monde.

Erwan Chartier-Le Floch

 

La Tour d’Auvergne

Parmi les plus intéressants personnages de la Celtomanie figure sans conteste le Carhaisien Théophile-Malo Corret de la Tour d’Auvergne. Né en 1740, il choisit rapidement la carrière des armes et intègre, en 1767, les mousquetaires du roi. Lorsque éclate la Révolution française, contrairement à beaucoup d’officiers nobles, il refuse d’émigrer et s’engage dans les armées de la République. Fait prisonnier, interné à Bodmin en Cornouailles, il affirme avoir profit de ce temps à étudier les rapports entre le breton et le gallois. En 1797, il se réengage dans l’armée comme simple soldat, malgré son âge, afin de remplacer le plus jeune des fils de son ami Jacques Le Brigant. En 1800, Bonaparte lui décerne le titre de « premier grenadier de la République ». Tué au combat, sa dépouille a été transférée au Panthéon.

 

Couvert d’honneur par la république, La Tour d’Auvergne n’en est pas moins resté très attaché à la Bretagne, dans laquelle il voyait un sanctuaire de la civilisation celtique. Et si l’on considère que la Celtomanie est une forme de pathologie dont les victimes voient des Celtes partout, La Tour d’Auvergne en est un bon exemple, en témoigne son principal livre, Origines gauloises, publié en 1792 à Bayonne. Il y survalorise la langue bretonne, présentée comme la langue la plus ancienne du monde. Il y explique, par exemple, que « « Adam » et « Eve » sont des mots purement celtiques puisque par le mot « Eva » nos enfants demandent à boire et par « Adam », ils demandent à manger ». Il travaillait d’ailleurs à un dictionnaire polyglotte mettant en parallèle quarante-deux langues et destiné à mettre en évidence le rôle fondamental qu’il attribuait aux langues celtiques. En 1804, quatre ans après sa mort, il est nommé président de l’Académie celtique, une institution transformée en 1814 en Société royale des Antiquaires lors de la Restauration.

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