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Histoires de Bretagne

Un blog d'Erwan Chartier-Le Floch

Les Bonnets rouges, retour historique

Publié le 24 Novembre 2013 par ECLF in Histoire de Bretagne

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Mais qui étaient donc ces fameux Bonnets rouges dont se réclament les manifestants bretons d’aujourd’hui ? Retour sur une révolte qui, en 1675, a mis une partie de la Bretagne à feu et à sang. Une insurrection provoquée par une crise européenne, un refus de l’impôt, une insatisfaction sociale et une certaine idée de la Bretagne. Une évènement dont la mémoire reste « clivante ».

Louis XIV, le plus long règne de l’histoire de France. Un dispendieux château à Versailles, des guerres ruineuses, la centralisation du pays, l’absolutisme politique… Monté sur le trône en 1643, Louis XIV gouverne seul à la mort de Mazarin, en 1661. Il s’entoure d’hommes de confiance, dont Colbert qui prend en charge les finances après avoir évincé Nicolas Fouquet, d’origine bretonne. Fouquet était partisan d’une économie ouverte, Colbert met en place une économie dirigée et étatiste, dont l’un des buts est de financer l’effort militaire français. Colbert a qui l’on doit cette maxime : « L’art de l’imposition consiste à plumer l’oie pour obtenir le plus possible de plumes avant d’obtenir le moins possible de cris. »

 

 

Une crise européenne

En 1672, après une déconvenue militaire contre l’Espagne cinq ans plus tôt, Louis XIV franchit le Rhin pour envahir les Provinces-Unies. Les Français pensent mettre rapidement à genoux cette petite république protestante. Mais le dirigeant néerlandais, Guillaume d’Orange bloque les armées françaises et parvient à retourner la situation diplomatique. En quelques mois, la France est isolée, menacée par une grande coalition (Empire romain germanique, Lorraine, Espagne, Angleterre, Suède) et doit se battre sur plusieurs fronts.

Pour financer la guerre, Colbert doit trouver de nouvelles recettes. Il propose de créer des impôts sur le papier timbré (nécessaire aux actes notariaux), le tabac et la vaisselle d’étain. Ils doivent s’appliquer à tout le royaume, dont la Bretagne. Or, cette dernière jouit d’un statut particulier. Conquise par la France à la fin du xve siècle, cet ancien duché indépendant jouit de « droits et libertés » garantis en 1532. Ils sont défendus par le Parlement de Bretagne, une instance judiciaire et les Etats de Bretagne, une assemblée représentant les trois corps de la province. Dans les faits, la noblesse et le haut clergé dominent. Et ils n’aiment guère Colbert.

 

Contre l’autonomie bretonne

La Bretagne est alors autonome sur le plan fiscal. Les contributions qu’elle verse au Trésor royal doivent être acceptées par les Etats de Bretagne, ces derniers se chargeant d’une partie de la collecte. Ce qui explique l’absence de la gabelle, un impôt particulièrement impopulaire sur le sel. Une partie des recettes provient en fait de taxes sur le vin et les boissons, ce qui rend plus « acceptable » la pression fiscale en Bretagne.

Cette autonomie bretonne gène la politique centralisatrice de l’État monarchique qui passe outre et fait appliquer l’impôt sur le papier timbré et le tabac dans la péninsule. Ce qui provoque la révolte dite du « papier timbré » en haute Bretagne et celle des bonnets rouges à l’ouest de la province. C’est en effet dans les villes de haute Bretagne que démarrent les troubles en avril 1675. Des émeutes éclatent à Saint-Malo et Lamballe. À Guingamp et Nantes, on exécute des meneurs. À Rennes, le gouverneur de Bretagne, le duc de Chaulnes et pratiquement assiégé dans son hôtel particulier dont il n’ose plus sortir. Mais le pire, pour le pouvoir central, est à venir.

 

Affrontements sur une route

Le 9 juin 1675, le marquis de Coste, lieutenant du roi pour la basse Bretagne, se rend à Châteaulin pour s’assurer de l’exécution des édits royaux sur les nouveaux impôts. À son arrivée, le tocsin résonne et des bandes de paysans en armes se rassemblent. L’une d’entre elle rencontre le marquis et les esprits s’échauffent rapidement sur la route. L’affrontement éclate, les agents de l’administration sont molestés et de Coste ne doit la vie sauve qu’en promettant l’annulation des édits.

Dans le même temps, à Edern, un château est brûlé et pillé. En quelques jours le tocsin de la révolte sonne dans toute la Bretagne. Le duc de Chaulnes quitte Rennes pour s’enfermer dans la citadelle de Port-Louis. Dans le centre Bretagne, les insurgés se coiffent d’une bonnet rouge, il est bleu en pays bigouden. Ils se nomment entre eux : Torr e benn, « casse-lui la tête » en breton.

Début juillet, la foule dévaste la maison d’un notaire de Spézet. Le papier timbré est brûlé. Le 11 juillet, six mille paysans du Poher prennent d’assaut le château de Kergoat, à Saint-Hernin. Partout, on s’attaque aux nobles, aux notaires ou aux fonctionnaires royaux. « Il n’est nulle sûreté en la campagne », écrit un témoin.

 

La Bretagne étonne

Plus original, les révoltés rédigent des codes et des chartes, appelés codes paîsans ou codes pesovat (ar pez a zo vat, « ce qui est bon »). Ils y demandent l’abolition des droits et taxes féodales et royales. Ils réclament une justice équitable. Ils espèrent l’autorisation des mariages entre roturiers et nobles et entendent défendre « la liberté Armorique », formule dans laquelle certains historiens ont vu une revendication patriotique bretonne contre le centralisme français.

Les codes paysans des « paroisses unies » de Bretagne étonnent l’Europe entière. L’ambassadeur de Venise en France en fait mention. Les gazettes hollandaises et anglaises les évoquent également. Bien construits, les textes ont été rédigés par un ou plusieurs juristes. Or, l’un des meneurs est justement un juriste. Ancien notaire royal, emprisonné entre 1673 et 1675, Sébastien Le Balp va incarner la révolte. Il organise les insurgés et les assemblées. Fin juillet, il envisage de marcher sur Morlaix et de prendre son port.

 

L’appui de la Hollande

Les Bonnets rouges savent en effet que les troupes royales sont en route vers la Bretagne et ils espèrent un appui militaire des Pays-Bas. Une flotte hollandaise croise alors dans la Manche. Le Balp tente de persuader le marquis de Montgaillard, un noble de Poullaouën, ancien officier, de prendre la tête des opérations militaires. Le 3 septembre, Le Balp entreprend de réunir trente mille hommes au manoir du Tymeur, en Poullaouën. Il envisage de marcher sur Carhaix, puis Quimper avant d’aller affronter les troupes du duc de Chaulnes. Mais Le Balp est tué par le frère du marquis de Montgaillard. Les Bonnets rouges sont totalement désorganisés par la mort de leur chef.

Entre temps, les troupes royales sont arrivées en basse Bretagne. Le 1er septembre, elles sont à Quimper. Du 4 au 18, dans le Poher. Elles arrivent à Rennes le 20. En l’absence de résistance organisée, l’expédition se transforme en promenade de santé pour les dragons de Louis XIV. Pour les habitants des paroisses et villes révoltées, c’est l’inverse : arrestations sommaires, violences et viols, contributions forcées à l’effort de guerre…

 

Répression sans pitié

Les meneurs qui sont capturés sont aussitôt pendus. Le duc de Chaulnes a d’ailleurs cette phrase terrible : « Les arbres commencent à avoir le poids qu’on leur donne ». Plusieurs clochers du pays bigouden, qui avaient sonné le tocsin de la révolte, sont rasés. En souvenir, ils n’ont jamais été reconstruits. À Rennes, un quartier est entièrement rasé et les Etats de Bretagne, exilés à Vannes, sont forcés de verser une contribution de trois millions de livres au trésor royal. Une somme colossale qui ruine la Bretagne.

La répression est aussi idéologique avec les missionnaires du père Maunoir, envoyées « évangéliser » les campagnes rebelles et surtout enseigner la soumission à leurs habitants. Quant à Sébastien Le Balp, son corps est exhumé. Un juge royal fait un procès à son cadavre qui est ensuite traîné sur une claie, rompu et exposé sur une roue.

Après avoir soufflé le temps de l’été 1675, la révolte des bonnets rouges s’éteint tragiquement dans la répression de l’État monarchique. Par la suite, les constantes guerres de la France avec ses voisins européens et particulièrement la Grande-Bretagne vont ruiner la Bretagne et son commerce international. Bien plus que la révolte des Bonnets rouges et contrairement à ce qu’affirmait légèrement péremptoire, Stéphane Le Foll début novembre 2013. Il est vrai que le ministre de l’Agriculture avait alors d’autres bonnets à fouetter.

 

La mémoire des Bonnets rouges

Dans les décennies qui suivent la révolte, son souvenir s’estompe. Demeurent les fameux clochers rasés du pays bigouden et la douleur des familles. Puis, à partir du xixe siècle, la mémoire de la grande révolte bretonne va ressurgir. C’est d’abord le grand historien breton, Arthur de la Borderie qui s’y penche. A l’origine du courant « bretonniste », l’un des premiers à mettre en valeur les spécificités bretonnes, il est considéré par certains comme l’un des pères du nationalisme breton moderne. Pourtant, ce chartriste, député dans les débuts de la troisième République, est avant tout un monarchiste et un conservateur. Son étude sur les Bonnets rouges est un réquisitoire à charge contre les insurgés auxquels il reproche leurs excès antiseigneuriaux et anticléricaux. Au début du xxe siècle, le futur académicien Charles Le Goffic écrit, lui, un roman sur les Bonnets rouges. L’intrigue tourne autour des amours plèbéiens de la marquise de Montgaillard et de Sebastien Le Balp. Pourquoi pas, après tout…

C’est après la Seconde Guerre mondiale que les Bonnets rouges font un retour remarqué grâce à un historien… soviétique de la fin des années 1940. Grand connaisseur des soulèvements populaires en France au xviie siècle, Boris Porchnev présente la révolte des Bonnets rouges à l’aune de l’analyse marxiste. Mais à la lutte des classes, il ajoute une dimension « nationale » bretonne qui gêne quelque peu au PCF…

Pour le tricentenaire de l’événement, en 1975, le Parti communiste charge donc deux historiens de rédiger un ouvrage « officiel » sur la question. Dans la ligne du Parti, l’ouvrage de Claudes Nières et d’Yves Garlan ne brille guère par sa fantaisie. Alliant une indéniable rigueur historique à la grille d’analyse marxiste la plus orthodoxe, il élude pratiquement toute spécificité bretonne de la révolte. On est au moment au Georges Marchais proteste officiellement auprès de Léonid Brejnev contre un atlas des peuples du monde de l’Académie des sciences de Moscou où les Bretons sont présentés comme une ethnie différente des Français…

L’ouvrage de Garlan et Nières s’achève sur cette sentence : « Les révoltes bretonnes de 1675 ont donc valeur de témoignage – sur la prise de conscience historiquement déterminée des masses exploitées –, mais non de valeur actuelle de modèle, sauf pour ceux qui préfère les révoltes vaincues aux révolutions victorieuses »… Comme une petite piqure de rappel marxiste-léniniste aux agitateurs gauchistes du moment.

 

Du printemps à l’automne des Bonnets rouges

Car à l’époque, le PCF est sévèrement concurrencé sur sa gauche, chahuté même parfois par une extrême-gauche remuante en Bretagne. Maos - spontex ou pas - et trostkistes de tout poil s’intéressent à ces fameux bonnets dont la couleur leur plaît tant. Mais c’est un autre mouvement qui va vraiment remettre le bonnet rouge à l’honneur : l’Union démocratique bretonne. Le poète « officiel » de cette formation autonomiste de gauche, Paol Keineg, monte et crée une pièce, Le Printemps des bonnets rouges. Elle est jouée à travers toute la Bretagne et marque toute une génération. A travers elle, de nombreux Bretons redécouvrent une histoire, la leur, celle que les manuels officiels ont largement occultée.

Depuis, les Bonnets rouges sont définitivement de retour dans l’imaginaire collectif breton. Ils ont même eu droit à deux bières en leur honneur, la « Bonnet rouge de Lancelot » et la « 1675 », une blague potache d’un bar rennais éponyme pour narguer la 1664 de Kronenbourg. Un billet de kant lur (cent francs) leur est dédié à la Fête nationale de la langue bretonne de Spézet, petite commune du centre Finistère où une stèle leur est également consacrée… Quant au slogan du Celib, « faisons de la Bretagne, une nouvelle Hollande », il ne faut pas y voir malice. Il date des années 1950.

La mémoire reste toujours conflictuelle. En 2002, alors que la RN 164 est mise à deux fois deux voies au niveau de Carhaix, la municipalité propose, aux entrées de la ville, un panneau associant un Bonnet rouge et un concert des Vielles Charrues. Le bonnet rouge brandit une faux, ce qui provoque l’ire du préfet jugeant le symbole… un peu trop violent. Christian Troadec alimente le buzz avec un certain humour. Finalement, c’est désormais un Bonnet rouge présentant un code paysan qui accueille aujourd’hui l’automobiliste.

Carhaix, préfet, Troadec, Bonnets rouges, autoroute… Comme une répétition de l’automne 2013 ?

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C
Le révisionnisme sur les Bonnets rouges tient à une lecture anachronique de la séparation des ordres et de l'étage royal dans la période.<br /> Les paysans devaient à leurs suzerains non seulement des redevances féodales, mais ils devraient régler à leurs procureurs privés une fraction des taxes sur le papier timbré. Plus généralement, le<br /> suzerain était, de facto, un agent du Roi. Il lui devait d'ailleurs un service dans le cadre du comté qui était toujours vivant juridiquement (Cornouaille, Léon, Vannes, etc…).<br /> Les attaques contre le clergé visaient, parfois, les curés décimateurs, mais, surtout, les abbayes ou couvent possédant des terres et qui étaient aussi des percepteurs indirects du Roi. Sinon, on<br /> ne voit pas pourquoi, un des codes paysans a été signé par les Carmes de Pont-l'Abbé.
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M
Merci de ces informations précises et documentées. J'apprécie que vous ne fassiez pas la morale sur le mouvement actuel du même nom comme dernièrement se sont autorisés trois de vos confrères dans<br /> le Télégramme.
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