Surnommé le « général des binious » par Pierre-Jakez Hélias, Polig Monjaret a été l’un des artisans majeurs du renouveau de la culture traditionnelle dans la seconde moitié du XXe siècle. Une culture qu’il a contribué à ouvrir par le biais de l’interceltisme et par la création de différentes organisations.
Paul Monjarret naît le 31 juillet 1920. L’enfance se passe, heureuse, à Guingamp où ses parents tiennent un magasin de meubles. Souvent gardé par ses grands-parents, il s’imprègne de la culture populaire bretonne. Pour eux, il est « Polig », le « petit Paul » en breton. Enfant, il se passionne pour le scoutisme. À quatorze ans, il fonde le premier groupe des éclaireurs de France à Guingamp. Un scoutisme, avec ses codes, ses uniformes et son organisation qui va profondément le structurer et l’influencer durant le reste de sa vie.
Après la défaite, en 1940, en tant qu’éclaireur de France, il intègre le centre de jeunesse à Mordelle, une structure créée par Vichy pour lutter contre le chômage et l’oisiveté. Fin 1942, de retour à Guingamp, il adhère au Parti national breton (PNB). Il rejoint également aux bagadoù stourm, le service d’ordre du PNB. Il quitte le PNB à la fin de l’été 1943. Selon ses proches, il avait en effet été très choqué de voir les Bagadoù Stourm se battre contre la foule, à Landivisiau, en août 1943. Courant 1943, la rencontre avec sa future femme Zaïg, issue d’une famille de gauche, a aussi été déterminante dans sa décision. Recherché comme réfractaire au service du travail obligatoire (STO), il déménage ensuite dans le Morbihan où il a moins de chances d’être reconnu. Le 4 juin 1944, lors d’un concert à Vannes au profit des victimes de bombardements, il critique la coupure entre les nationalistes bretons et la population. Il appelle également à bientôt fraterniser avec les Celtes d’outre-Manche. Les Gallois et les Écossais sont alors engagés dans les troupes alliées. Début juillet 1944, Il est arrêté et envoyé en Autriche pour le STO. À la libération, il est interné cinq mois pour son appartenance au PNB. Il est acquitté de toute charge lors de son procès.
Le renouveau culturel breton
Pendant la guerre, Polig Monjarret avait commencé à s’investir dans la culture bretonne. Il participe aux activités de cercles celtiques et découvre la bombarde. En 1942, à Locmaria-Berrien, il sonne pendant une noce avec Loeiz Roparz et Iffig Hamon, deux autres acteurs du renouveau musical breton et s’enthousiasme pour la vigueur et la force de cette culture populaire. En 1943, il fonde la BAS (Bodadeg ar sonerion, l’assemblée des sonneurs), avec plusieurs de ses amis. Après 1945, il s’investit activement dans le développement de la musique bretonne. L’année suivante, avec son beau-frère Dorig Le Voyer, devenu luthier, il sonne ainsi au congrès de Sao Breiz, l’organisation des Bretons de la France libre.
En 1947, installé comme tapissier à Carhaix, il crée une « clique » de musique bretonne, avec cornemuses, bombardes et batterie, au sein des cheminots. L’un des premiers bagadoù est né. Il sonne aussi en couple, avec un fameux compère, Youenn Gwernig qui le quitte dans les années 1950 pour New York, où il deviendra écrivain et l’ami de Jack Kerouac.
Maintenir et développer
En 1950, Polig Monjarret est l’un des artisans de la création de la confédération Kendalc’h (« Maintenir ») qui fédère alors les cercles celtiques et les bagadoù. Pendant cinq ans, il en devient permanent, travaillant sans relâche pour animer les cercles, relancer des fêtes folkloriques ou en créer de nouvelles. On le retrouve ainsi à Quimper, avec Pierre Jakez Hélias, au festival de Cornouaille qui connaît un succès phénoménal à partir des années 1950. Il fait également partie des fondateurs du championnat des sonneurs de Gourin, du festival des cornemuses à Brest. Après un conflit avec la municipalité, à la fin des années 1960, cette fête s’installe à Lorient sur une suggestion de Polig Monjarret qui a alors déménagé dans cette ville. Elle deviendra le Festival interceltique de Lorient, promis au succès que l’on sait.
Au début des années 1980, il a la joie de voir se concrétiser l’un de ses projets les plus chers : la création d’un centre de formation et d’un conservatoire de musique traditionnel, en l’occurrence le centre Amzer Nevez, à Plomeur, près de Lorient. Polig Monjarret est aussi un collecteur infatigable d’airs traditionnels. Il note tout, en haute comme en basse Bretagne, la musique instrumentale comme le chant. Il a publié le fruit de ses recherches sur la musique populaire dans un ouvrage, Tonioù Breizh Izel, qui reste une référence.
Dès l’après-guerre, Polig Monjarret avait eu l’intuition que la musique bretonne devait s’ouvrir à d’autres pays et d’autres aspects culturels. Au festival de Cornouaille, il avait déjà plaidé pour inviter des groupes d’autres régions de France et de l’étranger, d’Europe de l’Est notamment. Il fait venir pour la première fois en Bretagne un groupe musical galicien, en 1954, à Quimper.
Polig, l’interceltique
Depuis les années 1950, Polig Monjarret se rend fréquemment dans les autres pays celtes où il se constitue un solide réseau, notamment en Irlande où il estimait s’être rendu plus de deux cents fois. Dans les années 1970, il fait le pied de grue auprès des dirigeants de la Brittany ferries pour qu’ils ouvrent une ligne entre la Bretagne et l’Irlande. Polig Monjarret s’investit alors dans l’association Bretagne-Irlande qui vise à développer les jumelages entre communes de ses deux pays. En quelques années, plusieurs dizaines de communes bretonnes se jumellent et des milliers de Bretons vont ainsi découvrir l’île verte. Au début des années 1970, toujours, il crée le Secours populaire interceltique, le Spi, pour permettre l’accueil d’enfants nord irlandais (protestants et catholiques) en Bretagne. Le temps de quelques mois de vacances, des centaines de petits Irlandais oublieront ainsi les affres de la guerre civile.
Polig Monjarret ramène également quelques bonnes idées de ses voyages. En 1972, il assiste, dans le Kerry, à la finale du Fleadh Cheoil, le grand rassemblement traditionnel irlandais. Des milliers de musiciens, de danseurs et de chanteurs s’affrontent à cette occasion lors de concours. Cet événement va directement lui inspirer la création du Kan ar bobl (« le chant du peuple ») dont la première édition aura lieu, en 1973, à Lorient. Kan ar bobl s’est, depuis, imposé comme l’un des grands rassemblements culturels bretons. Parmi les nombreuses organisations que Polig Monjarret a contribué à lancer, on pourrait enfin citer, pour l’anecdote, l’association des éleveurs bretons de poneys du Connemara. En 1974, il en avait ramené trois qui font grande impression au festival interceltique. Du coup, de nombreuses personnes lui demandent de faire le relais en Irlande afin de s’en procurer. Aujourd’hui, plusieurs dizaines de poneys irlandais broutent les prairies bretonnes.
Polig Monjarret s’est investi avec une rare énergie dans le renouveau culturel breton de la seconde moitié du XXe siècle. Fédérateur plus que théoricien, il a contribué au développement de nombreux événements et organisations qui animent aujourd’hui la vie culturelle bretonne. Décédé en 2003, il demeure enfin comme l’une des grandes figures de l’interceltisme contemporain, mouvement qui a constitué une formidable opportunité d’ouverture au monde pour la Bretagne.
Erwan Chartier-Le Floch
Pour en savoir plus :
Yves Labbé, « Polig Monjarret, un pionnier du renouveau musical », ArMen n° 53, août 1993.
Erwan Chartier-Le Floch, La construction de l’interceltisme en Bretagne, des origines à nos jours, thèse de doctorat en celtique, université européenne de Bretagne, 2010.
Polig Monjarret, Polig an Diaoul, Coop Breizh, Spézet, 2002.