À partir du Moyen Âge, la Bretagne se couvre de maisons nobles, les manoirs. Moins fortifiées que les châteaux, ces solides bâtisses sont aussi le centre de domaines agricoles plus ou moins importants. Aujourd'hui encore, le manoir demeure l'un des éléments les plus représentatifs de l'architecture bretonne.
La tradition de demeures aristocratiques de taille moyenne, à vocation agricole, remonte à l'Antiquité. Durant la période gauloise, de petites forteresses sont ainsi édifiées dans toute la péninsule armoricaine, comme celles de Laniscat (22) ou Inguiniel (56). Plus tard, après la conquête romaine, une partie de l'aristocratie gallo-romaine possède de vastes domaines agricoles, qui comportent des parties résidentielles, occupées occasionnellement par des propriétaires demeurant également dans les nouvelles villes romaines et des parties agricoles, qui fournissent des revenus importants. Au haut Moyen Âge, les petits nobles bretons semblent occuper des domaines plus ou moins fortifiés, ayant également une vocation agricole prononcée.
Une fonction ostentatoire
Aux XIIe et XIIIe siècles, la Bretagne entretient des liens économiques et culturels avec la Normandie et l'Angleterre. C'est sans doute de ces régions que ce sont diffusés les premiers modèles architecturaux de manoirs. Il s'agit alors de demeures occupées par des petits nobles, faiblement ou peu fortifiées et au cœur d'un domaine agricole. Le terme de manoir vient du latin manere, « demeurer » ou « rester ». Ces premiers manoirs sont en général des constructions de bois et de terre, qui ont aujourd'hui disparu, victimes de conflits ou de reconstructions ultérieures. Certains manoirs bretons conservent cependant un plan archaïque, proche des halls britanniques. Il s'agit d'un long bâtiment sous charpente. La grande salle occupe tout l'espace entre le sol et le toit, comme le manoir de Bolant, à Bréal-sur-Monfort. Il s'agit de salles d'apparat qui illustrent bien la fonction ostentatoire des manoirs.
Car le manoir est à la fois un lieu de vie, de travail et de pouvoir. Il est la résidence d'une famille aristocratique. Avant de désigner une habitation, le manoir était d'ailleurs synonyme de terre noble. Il abrite aussi la domesticité. Les ouvriers agricoles et, parfois, le métayer chargé de diriger le domaine. Les gens du propriétaire sont en général logés dans les dépendances du manoir, ou dans des bâtiments extérieurs, notamment dans les « métairies ».
Moulins, colombiers, chapelles…
Le manoir se distingue de la ferme par l'ampleur des bâtiments, par la concentration de terres environnantes. Certains manoirs bretons comportent également des éléments défensifs : douves, échauguettes, murs d'enceinte… Plus que de pouvoir résister à un long siège, il s'agit surtout de dissuader des maraudeurs. Ces éléments défensifs sont parfois de nature ostentatoire. Il s'agit de rappeler la fonction militaire de la noblesse.
Les propriétaires de manoirs affirment leur statut grâce à un certain nombre de constructions symboliques, qui étaient autant de sources de revenus. On y trouve ainsi fréquemment associés des moulins, des pêcheries, des viviers, des fours. Pas de manoirs bretons non plus sans colombiers. La possession de manoir impliquait souvent un certain nombre de droits ancestraux, comme les droits de justice et les titres de fondateurs et de bienfaiteurs dans les chapelles environnantes ou dans l'église paroissiale.
Une architecture bretonne
L’un des particularités du manoir breton réside dans son extraordinaire concentration dans la péninsule. Les spécialistes en recensent plus de douze mille, avec parfois entre quarante et soixante manoirs par communes. La noblesse bretonne du Moyen Âge et de l’ancien régime était en effet très nombreuse, bien plus que dans le royaume de France. Parfois, seul la possession d’un modeste manoir permettait d’ailleurs d’en distinguer les membres du reste du peuple. Le nombre des manoirs bretons et la richesse de leur architecture illustrent aussi la prospérité de la péninsule qui, contrairement à certaines idées reçues, se trouvait alors au cœur des grands axes commerciaux de l’époque.
Outre les matériaux employés (granit, ardoises) qui leur confèrent une allure spécifique, les manoirs bretons possèdent certains éléments particuliers. On trouve ainsi fréquemment des logis-portes, apparentés aux gate-houses britanniques. Il s’agit d’un bâtiment construit au dessus d’une porte et qu’il défend. Sur nombre de manoirs bretons, on peut également observer les traces de supports de galeries extérieures. Mais la plupart d’entre elles ont aujourd’hui disparu, à l’exception du manoir de Launay-Bazoin, à Sainte-Anne de Vilaine. Enfin, les escaliers monumentaux font également partie de nombre de manoirs. On les trouve parfois sur des tours qui ornent les façades et rajoutent de la majesté à l’édifice.
À la fin du Moyen Âge, les ducs de Bretagne et leur entourage font également construire des manoirs. Le duc Jean V finit ainsi sa vie au manoir de la Touche, l’actuel musée Dobrée, à quelques kilomètres de la ville close de Nantes. D’autres familiers des duc font construire d’élégantes demeures comme le Hac, près de Dinan, ou le Bois-d’Orcan, à proximité de Rennes.
Un élément de l'identité bretonne
La majesté de certains manoirs bretons va fortement influencer l’architecture régionale. Certains prêtres se font ainsi construire de véritables petits manoirs, comme en témoigne le vieux presbytère de Landeleau. Peu à peu, le manoir devient la propriété de notables et de marchands, notamment dans les régions de productions de toiles. Un phénomène qui s’accentue avec le déclin de la petite noblesse rurale à partir du XVIIe siècle. Les armateurs aussi construisent des manoirs, notamment dans la région de Saint-Malo, où ils s’inspirent de l’architecture militaire de la ville-close pour bâtir les fameuses malouinières.
Au XIXe siècle, avec la redécouverte du Moyen Âge et la vague romantique, le manoir connaît un regain d’intérêt. Il influence l’architecture de certaines stations balnéaires bretonnes et commence à être identifié comme l’un des éléments pittoresques du paysage breton. Aujourd’hui encore, le manoir breton continue d’être associé à un certain standing social, en témoignent les nombreuses restaurations. Mais sur les douze mille manoirs anciens recensés, il n’en reste plus guère aujourd’hui que la moitié.