Le Mary Rose, l'un des principaux navires d'Henri VIII. Il a participé à plusieurs opérations en Bretagne.
En 1522, dans un contexte européen agité, le roi d’Angleterre Henri VIII ordonne à sa marine d’effectuer une descente sur les côtes bretonnes. Les Anglais ravagent Morlaix, mais sont repoussés dans le Léon et dans la rade de Brest. Une offensive maritime et terrestre qui préfigure trois siècles d’affrontements navals dans la Manche.
Depuis la fin du Moyen Âge, Morlaix s’est imposée comme l’un des principaux ports bretons. Le commerce des toiles commence à prendre son essor, les marchands de la cité aux trois rivières exportent les pièces de lin et de chanvre vers l’Europe du nord et, particulièrement, les îles Britanniques. Mais ces commerçants savent également manier l’épée et se transformer en redoutables corsaires et pirates. À la fin du XVe siècle, le Morlaisien Jehan de Coatanlem est banni par le duc de Bretagne après avoir pillé la ville de Bristol. Son neveu Nicolas, armateur et fidèle de la reine Anne, se voit confier la construction de la Cordelière, navire principal de la flotte bretonne qui combat désormais avec les bâtiments français. La Cordelière sombre dans un combat héroïque en 1513.
La Manche, enjeu géostratégique
La situation dans la Manche en ce début de XVIe siècle est en effet complexe. Depuis les mariages d’Anne de Bretagne avec les rois de France, Charles VIII puis Louis XII, la principauté, disposant d’institutions très autonomes, se retrouve dans le giron français. Plusieurs complots sont montés afin de lui rendre son indépendance, avec notamment l’appui fluctuant du roi d’Angleterre, le jeune et ambitieux Henri VIII. Il n’accorde en effet qu’un soutien très limité à ces tentatives, comme celle de René de Brosse, héritier des Penthièvre, qui rejoint Londres en mai 1522 pour faire valoir ses prétentions sur le duché. Henri VIII est en revanche considéré comme le père de la Royal Navy et entreprend de bâtir une flotte militaire permanente, afin de contester la supériorité navale des Français. Au début de 1522, il noue une alliance avec l’empereur Charles Quint en conflit avec la France. Pour satisfaire son allié, Henri VIII décide d’entreprendre plusieurs descentes contre les côtes bretonnes et normandes afin d’affaiblir la flotte française.
Chocs de mémoire
Le 30 juin 1522, une importante flotte anglaise, commandée par Thomas Howard, mouille face au Dourduff. Près de 7.000 hommes, dirigés par Francis Bryan, qui sera ensuite fait chevalier pour cette opération, débarquent pour une offensive sur laquelle les sources anglaises et bretonnes divergent.
Selon les chroniqueurs locaux, les Anglais auraient progressé de nuit et, grâce à la traîtrise d’un officier, Latricle, auraient été informés que la ville était pratiquement sans défense. Les nobles des environs étaient réunis à Guingamp pour une « montre », un rassemblement militaire, les bourgeois, constituant les effectifs de la milice locale, s’étaient rendus en grand nombre à la foire de Noyal-Pontivy.
Néanmoins, une chronique britannique, plutôt digne de foi, donne une autre version et indique que les troupes anglaises débarquent à 8 h du matin et se mettent en branle avec leur artillerie et leurs bannières. Dans les campagnes alentour, le tocsin sonne. Les combats ont lieu dans la journée et sont acharnés, les canons anglais parvenant à ouvrir une brèche dans l’une des portes de la ville. L’officier anglais ordonne alors à ses troupes de piller et brûler la ville en épargnant les édifices religieux.
Ce que contestent les sources locales qui décrivent au contraire le martyre de la ville et mettent en valeur ses défenseurs, particulièrement Jehan Piriou, un prêtre qui aurait abattu plusieurs assaillants en défendant son église. Et Suzanne Le Borgne, une courageuse chambrière, qui serait parvenue à noyer plusieurs Anglais dans une cave qu’elle avait inondée. En représailles, elle est défenestrée dans la Grand’rue de Morlaix. Vers 18 h, les Anglais, présentés comme « les anciens ennemis des Françoys et des Bretons », quittent une ville en flammes, avec leur butin et leurs prisonniers. Le comte de Laval aurait réussi à rattraper des retardataires et à les massacrer sur la grève, ce que dément le témoignage de l’Anglais Edward Hall. Les dégâts dans la cité sont considérables et Morlaix mettra dix ans à s’en remettre. Elle est d’ailleurs exemptée de payer de nombreux impôts, billots et taxes jusqu’en 1548, ce qui lui permet de retrouver son statut et sa population.
Chroniqueurs anglais comme continentaux sont en revanche moins diserts sur la suite de l’expédition. Le martyr de Morlaix permet en effet au pouvoir royal de présenter les Anglais comme l’ennemi commun aux Bretons et aux Français qu’il convient de combattre ensemble. Quant aux Britanniques, ils insistent évidemment moins sur leur échec, dans les jours qui suivent, devant Saint-Pol-de-Léon et Brest. Les troupes locales et l’artillerie brestoise permettent en effet de repousser leurs assauts. Cette descente anglaise, comme la défense du littoral breton, préfigure trois siècles de conflit dans la Manche qui ne se termineront qu’avec la chute de Napoléon en 1815.
A lire
- « Le château du Taureau. Baie de Morlaix », Guillaume Lécuillier, Coop Breizh, 2016.
Dans ce livre très documenté et richement illustré, avec notamment plusieurs dessins de Patrice Pellerin, Guillaume Lécuillier retrace l’histoire mouvementée du fort du Taureau, dont la construction fut une conséquence directe du sac de 1522. Encore traumatisés par un événement dont la ville a mis une dizaine d’années à se remettre, les élites de Morlaix décident d’édifier un fort à la mer capable de contrôler l’accès au port. Les travaux durent de 1542 à 1552 sur l’îlot du Taureau, situé à 11 km au nord de la cité. |