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Histoires de Bretagne

Un blog d'Erwan Chartier-Le Floch

Jeanne Malivel, l’œuvre inachevée

Publié le 20 Janvier 2019 par ECLF in Histoire de Bretagne

Jeanne Malivel, l’œuvre inachevée

 

 

 

Originaire de Loudéac, Jeanne Malivel a marqué l’histoire artistique de la Bretagne du XXe siècle. Fondatrice des Seiz Breur, elle laisse une œuvre foisonnante, mais hélas inachevée en raison de son décès prématurément à 31 ans.

De Jeanne Malivel, on retient la frêle silhouette d’une jeune femme presque évanescente, mais surtout une œuvre artistique d’une grande force et d’une forte intelligence. Elle nait en 1895 dans une famille de notables de Loudéac. Son père, Albert Malivel, est un commerçant plutôt prospère. Curieux et ouvert, il a développé une conscience régionaliste.

 

Gallo, catho et féministe

A Loudéac, Jeanne Malivel s’imprègne de culture gallèse qui a joué un rôle important dans son œuvre. Contrairement à nombre d’intellectuels et d’artistes bretons de l’époque, plus attirés par la basse Bretagne, elle a toujours revendiqué son identité gallo. Dans les années 1920, elle projetait d’ailleurs d’éditer un dictionnaire de gallo. Elle laisse également toute une série de bois gravés sur les arbres de haute Bretagne.

La famille de Jeanne Malivel est également catholique. La jeune femme a conservé toute sa vie une foi profonde et elle a participé à plusieurs mouvements chrétiens. Ce qui n’implique pas une posture traditionnaliste. La famille Malivel est ainsi proche de Marie Le Gac-Salonne, l’une des pionnières du féminisme dans la péninsule. « Toute sa vie, remarque l’historien de l’Art, Olivier Levasseur, elle a lutté pour s’imposer comme une femme artiste ».

 

Vocation artistique

Adolescente, Jeanne Malivel part au lycée de l’Immaculée conception, à Rennes, pour poursuivre ses études. Elle y est chapeautée par une cousine, Louise Gicquel, professeur de dessin, qui contribue l’éclosion de sa vocation artistique. Au printemps 1914, Louise accompagne Jeanne pour une formation d’un mois à l’académie Julian de Paris, l’un des rares organismes qui acceptent les femmes.

Après le déclenchement de la guerre, Jeanne Malivel sert comme infirmière, avec sa sœur, à l’hôpital de Loudéac. Elle continue à dessiner et part, en 1916, à Paris, continuer sa formation à l’académie Julian. Les bombardements aériens et l’avancée des Allemands, en 1917, la forcent à des va-et-viens avec la Bretagne. En 1917, elle expose au salon des artistes de Pontivy, où elle commence à être remarquée.

 

Bretons de Paris

Entre 1917 et 1919, elle prépare le concours de l’école des Beaux-Arts à Paris où elle sera reçue… deux fois. Après avoir été reçue en 1917, elle avait dû rentrer en Bretagne et avait donc été obligée de repasser, brillamment, l’examen en 1919. L’enseignement très académique ne la passionne pas. Mais, à Paris, elle visite les musées et fréquente les milieux bretons de la capitale, notamment les leaders du jeune mouvement nationaliste, Olier Mordrel ou Morvan Marchal.

Elle adhère dès 1919 au Groupe régionaliste breton (GRB) et les réunions du groupe parisien se tiennent dans son atelier. Jeanne Malivel hésitera entre régionalisme et nationalisme, mais elle restera une militante convaincue de la cause bretonne toute sa courte vie.

L’aventure des Seiz Breur

Jeanne Malivel fait partie des membres fondateurs des Seiz Breur, un groupe qui révolutionne l’art breton dans l’entre-deux-guerres.  En 1925, ils déclenchent l’enthousiasme à l’exposition internationale des arts décoratifs de Paris. Pendant un an, ils ont en effet préparé le mobilier et les arts ménagers qui seront exposés au pavillon Ty Breiz. René-Yves Creston et Jeanne Malivel ont réalisé l’Ostée (« la pièce commune » en pays gallo), qu’ils décorent de meubles, tissus imprimés et de faïences. Leur production étonne et détonne.

Une œuvre foisonnante

Dans les années 1920, Jeanne Malivel produit une œuvre foisonnante et diverse. Elle installe son atelier à Loudéac et se fait un nom avec ses bois gravés illustrant L’Histoire de Bretagne de C Danio. Le texte, très anti-français, suscite de vives réactions, mais les illustrations de Jeanne Malivel provoquent l’unanimité. Au cours de ces années, elle crée également des meubles, des tissus d’ameublement ou de la céramique. En 1925, elle se marie et tombe enceinte l’année suivante. Elle est alors victime d’une paratyphoïde et décède à l’hôpital de Rennes, à 31 ans.

 

 

Pour en savoir plus :

Olivier Levasseur, Jeanne Malivel, Coop Breizh, Spézet, 2013.

 

 

Seiz Breur, la réinvention d’un art breton

L’art celtique ancien avec ses courbes, son abstraction et ses motifs étranges a fasciné bon nombre d’intellectuels, particulièrement dont André Breton ou André Malraux dès les années 1920. En Bretagne, à l’époque, de jeunes créateurs militants vont également se fédérer pour développer un art moderne celtique. Ils lancent les Seiz Breur, « les sept frères », un mouvement qui va marquer l’histoire de l’art breton. Les prémices sont à rechercher dans la rencontre entre René-Yves Creston, sa femme Suzanne Candré, Jeanne Malivel et Georges Robin à Paris, où ils suivent les cours du soir de breton. Ils sympathisent et rejettent la vision surannée de la Bretagne qui prévaut alors dans la production artisanale et artistique, avec ses « biniouseries ». Pour eux, art et artisanat doivent donc s’associer pour puiser dans la richesse des traditions bretonnes – et par-delà, dans le riche fonds culturel celtique – afin d’inspirer l’art moderne, c’est-à-dire, à l’époque, les arts décoratifs.

En septembre 1923, ils se rendent au pardon de Notre-Dame du Folgoët, où ils sont éblouis par la richesse et la beauté des costumes comme des traditions religieuses. Ils décident alors de lancer une fraternité au service de la Bretagne, ar Seiz Breur, les sept frères, qui réunit des peintres, des sculpteurs, des dessinateurs qui travailleront avec des ébénistes, des ferronniers, des brodeurs, des luthiers, des architectes. De fait, ils vont totalement révolutionner la production artisanale bretonne, avec notamment de nouvelles figures géométriques et abstraites, directement inspirées par les motifs celtiques anciens.

L’identité bretonne est pour eux un combat dans lequel l’art doit également jouer. L’avènement d’un art breton nouveau et moderne doit galvaniser le sentiment national. Nombre d’entre eux vont d’ailleurs adhérer au Groupe régionaliste breton, puis au parti autonomiste breton et au Parti national breton. Les Seiz Breur sont alors aussi inspirés par le Bauhaus allemand ou le mouvement britannique des Arts & Crafts qui a initié le « modern style ». Ils puisent aussi aux sources de l’art celtique, notamment dans les motifs décoratifs irlandais du Moyen Âge, avec leurs entrelacs et leurs figures abstraites. Ils sont les véritables initiateurs d’un art celto-breton qui se perpétue encore aujourd’hui. Plus d’une cinquantaine d’artistes rejoindront les Seiz Breur. Malgré ses aléas, le mouvement continua d’attirer des membres, notamment après 1932 et sa réorganisation par Aubert. En 1937, les Seiz Breur s’occupèrent ainsi du stand de la Bretagne à l’exposition des arts décoratifs de Paris.

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