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Histoires de Bretagne

Un blog d'Erwan Chartier-Le Floch

1947. Brest ravagé par l’Ocean Liberty

Publié le 4 Mars 2011 par ECLF in Histoire de Bretagne

oceanlib

 

Géographie oblige, l’Histoire de Bretagne a régulièrement été marquée par des catastrophes maritimes dont l’une des plus importantes, au XXe siècle, a sans nul doute été l’explosion en rade de Brest de l’Ocean liberty, un cargo chargé de matériaux explosifs, en 1947. Un drame qui a profondément marqué une ville qui commençait tout juste à penser les plaies de l’après-guerre.

En cette fin de mois de juillet 1947, la Bretagne profite d’un été chaud et agréable. Le commerce international et le trafic maritime, interrompu pendant la Seconde Guerre mondiale, reprennent peu à peu. La cité du Ponant, ravagé par quatre ans de bombardements puis l’assaut mené par les troupes alliées, renaît peu à peu. Il ne reste rien de son ancien centre-ville, mais on commence à rebâtir une ville moderne, « à l’américaine ». Les installations portuaires ont également été remises en état. On voit donc y accoster à nouveau des cargos, dont les fameux Liberty ships, ces bateaux de transports construits en série pendant la guerre pour soutenir l’effort allié et reconvertis ensuite pour le commerce.

 

Nitrate d’ammonium

Le 23 juillet 1947, l’Ocean liberty, un cargo battant pavillon panaméen, vient s’amarrer au cinquième bassin du port de commerce. Dans ses soutes, on recense plusieurs centaines de tonnes de nitrate d’ammonium, une substance destinée à la fabrication d’engrais agricoles. Ce produit est particulièrement explosif. Quelque temps plus tôt, la ville américaine de Texas City a été ravagée par l’explosion en transportant. Plusieurs décennies plus tard, c’est encore le nitrate d’ammonium qui sera impliqué dans l’une des grandes catastrophes industrielles françaises, l’explosion de l’usine AZF de Toulouse, en 2001.

Le débarquement du nitrate d’ammonium de l’Ocean liberty commence le 27 juillet. Mais, le lendemain, un matelot constate l’existence d’un début d’incendie. Aussitôt, les pompiers interviennent. Le bateau et les entrepôts voisins sont arrosés. Les autorités portuaires décident d’éloigner le navire des quais, grâce au remorqueur Plougastel. Mais, vers 14 heures, l’Ocean Liberty s’échoue sur un ban de sable, face au quartier Saint-Marc. La marée descendante rend impossible toute manœuvre de dégagement. Sur le cours Dajot, des centaines de Brestois observent la scène, volontiers goguenards. Pas pour longtemps…

 

L’incendie progresse

Avec leurs bateaux-pompes, les pompiers maritimes continuent d’arroser le navire. Vers 16 heures, une canonnière approche, dans le but de pratiquer une brèche dans la coque à l’aide d’obus non explosifs. Il s’agit de noyer la cargaison sous l’eau de mer. Mais la tentative est un échec, comme celle menée avec une bouée remplie d’explosifs quelque temps plus tard. Vers 17 h 30, l’incendie prend de l’ampleur. Une vedette de la Marine s’approche du navire, afin de déposer directement des explosifs. Elle n’est pas parvenue à cinquante mètres de l’Ocean liberty que celui-ci explose.

 

Scènes d’apocalypse

La déflagration est énorme. Certains témoins assurent l’avoir entendu à plus de cent kilomètres, jusque dans la région de Guingamp ! Le souffle ravage la ville. Les vitres des habitations explosent, comme les vitrines des commerces. Les toits s’envolent. Des baraques de bois dans lesquelles de nombreux Brestois ont été relogés après la destruction de la ville, sont emportées elles aussi. Des dizaines d’habitations sont ravagées.

On retrouvera des morceaux du navire sur plusieurs kilomètres à la ronde. Comme des shrapnels, les débris chauffés à blanc enflamment les habitations, tuent les hommes et les animaux. Le port de Brest est bien évidemment le premier touché. Perforées, les cuves d’un dépôt pétrolier s’enflamment. Sur la plage du Moulin-Blanc, un tsunami emporte les baigneurs. Au milieu de ce paysage dantesque, des restes de l’Ocean liberty, une colonne de fumée rougeâtre s’élève à plusieurs centaines de mètres en hauteur.

En quelques minutes, les Brestois ont l’impression d’être revenus aux heures les plus sombres de la Seconde Guerre mondiale. Dans le chaos, les secours tentent de s’organiser, mais les pompiers ne disposent que d’un matériel vétuste et doivent circonscrire des centaines d’incendies. Les hôpitaux ne chôment pas non plus. On dénombre vingt-deux morts, quatre disparus et des dizaines de blessés.

 

Solidarité internationale

Ville martyre pendant la guerre, Brest est sous le choc et pleure les victimes de la catastrophe. Heureusement, du monde entier, des témoignages de solidarité affluent. Le maire de Texas City envoie un message de soutien. En Argentine, Eva Peron fait parvenir un don d’un million de francs de l’époque aux sinistrés. Un patron de café, par ailleurs sonneur de cornemuse, Yves Camus, émet l’idée de constituer un petit groupe de musiciens traditionnels pour récolter des fonds en faveur des sinistrés. Après cette tournée, les sonneurs ne se quittent pas et vont fonder la Kevrenn Brest Sant-Marc, l’un des plus anciens bagadoù de Bretagne.

Mais il faudra encore des années avant que les stigmates de l’explosion de l’Ocean liberty ne disparaissent et que ne s’estompent les souvenirs de la tragédie, dans une mémoire collective brestoise déjà à vif.

 

 

Pour en savoir plus :

Alain Cabon, Brest, éditions Ouest-France, Rennes 1990.

Collectif, Toute l’histoire de Bretagne, Skol Vreizh, Morlaix, 2007.

Alain Boulaire, Brest, Éditions Palantines, Quimper, 2004.

 

 

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