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Histoires de Bretagne

Un blog d'Erwan Chartier-Le Floch

L'affaire Dreyfus en Bretagne

Publié le 30 Septembre 2010 par ECLF in Histoire de Bretagne

Pendant douze ans, de 1894 à 1906, l’affaire Dreyfus a profondément marqué la vie politique française. Elle a également secoué la Bretagne, où s’est tenu, à Rennes, le second procès en révision du célèbre capitaine accusé d’espionnage au profit de l’Allemagne.

 

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Le lycée Zola à Rennes, où fut rejugé Dreyfus 

 

 

L’affaire Dreyfus demeure comme l’une des plus fameuses erreurs judiciaires de l’Histoire et les passions qu’elle a déclenchées ont ébranlé la troisième République. En 1894, un capitaine de l’armée française, d’origine alsacienne et juive, Alfred Dreyfus est arrêté et jugé pour avoir fourni des renseignements militaires en faveur de l’Allemagne. Il est condamné au bagne à perpétuité et envoyé sur l’île du Diable à Cayenne. Pourtant, sa famille se mobilise pour prouver son innocence. En 1896, le colonel Picquart, du contre-espionnage, démontre que le vrai traître est le commandant Esterhàzy, mais l’État-major refuse de reconnaître son erreur. Esterhàzy est acquitté sous les vivats des conservateurs et des nationalistes en 1898. Cette année-là, Émile Zola publie son fameux « J’accuse » dans l’Aurore, en faveur de Dreyfus. La France se déchire entre dreyfusards et anti-dreyfusards. L’antisémitisme se développe, sur fonds de nationalisme exacerbé. Mais la défense de Dreyfus va également être à l’origine du mouvement des droits de l’Homme et va consacrer l’émergence des intellectuels en tant que force capable d’influencer l’opinion.

 

Un climat très tendu

La Bretagne n’est pas épargnée par les retombées de « l’Affaire ». Une bonne partie du clergé catholique prend position dans le camp anti-dreyfusards. Les conservateurs et les monarchistes aussi. Le camp républicain reste divisé. Après la publication du « J’accuse » de Zola, de violentes émeutes ont lieu dans toute la France. L’une des plus importantes se déroule à Nantes, le 17 janvier 1898. Plusieurs milliers de manifestants défilent dans la ville et s’en prennent à des commerces tenus par des Juifs. La synagogue est attaquée.

Le 21 janvier, deux cents jeunes défilent ainsi à Saint-Malo au cri de « Conspuez Zola ! À bas les juifs ! Vive l’Armée ! ». Des troubles ont également lieu à Rennes, notamment lorsque plusieurs professeurs de l’université prennent position pour la révision du procès : Victor Basch, Henri Sée et Jules Aubry. En revanche, plus on s’éloigne vers l’ouest, plus la situation reste calme. Seuls quelques incidents ont lieu à Vannes, Lorient et Quimper.

 

Un journaliste de la Dépêche blessé en duel

Dreyfus et Zola trouvent également des soutiens en Bretagne. Le 4 février 1898, le secrétaire de la rédaction de la Dépêche de Brest (l’ancêtre du Télégramme), rend hommage à l’écrivain, s’en prendre parti sur la question de la culpabilité de Dreyfus. Un lieutenant de vaisseau anti-dreyfusard, H. De Beloy, après un vif échange, le provoque en duel et le blesse. Un épisode qui témoigne des tensions de la société à l’époque. D’une manière générale, dans la presse, « l’affaire » donne lieu à des articles d’une violence et d’une virulence qu’on aurait du mal à imaginer aujourd’hui.

Plusieurs organisations sont également constituées pour défendre l’un ou l’autre point de vue. Ainsi, le 17 avril 1898, est créée une Ligue patriotique antisémite nantaise. En janvier 1899, c’est à Rennes qu’est créée la première section de la Ligue des droits de l’homme après Paris. Une autre section est également rapidement créée à Saint-Brieuc. D’une manière générale, l’affaire Dreyfus et l’antisémitisme deviennent un enjeu électoral, notamment pendant les législatives de 1898.

 

Second procès à Rennes

En septembre 1898, le gouvernement transmet une demande de révision à la cour de cassation. Après un examen rigoureux, cette dernière décide qu’un nouveau procès aura lieu à Rennes, une ville jugée suffisamment calme pour que les passions ne s’y déchaînent pas trop. Il doit se tenir en août 1899. En juin 1899, la presse ne cesse de s’interroger sur le lieu où débarquera Dreyfus, de retour de l’île du Diable. Habilement, les autorités qui veulent prévenir tout risque de violence, font tout pour faire croire que le débarquement aura lieu à Brest. Tout le monde attend donc l’arrivée du Sfax, qui le transporte, dans la cité du Ponant pour le 30 juin. En fait, le célèbre prisonnier est arrivé la veille à Port Haliguen, dans la presqu’île de Quiberon. Le train spécial où il est ensuite monté s’arrête en pleine campagne, à Saint-Jacques-de-la-Lande, à quelques kilomètres de Rennes. Le préfet l’y attend avec une solide escouade de gendarmes.

Pendant l’été 1899, Rennes est au centre du jeu médiatique. Des journalistes parisiens, mais également des représentants de la presse étrangère prennent leurs quartiers dans la capitale bretonne. Ils se moquent de cette ville indifférente où « rien ne prend, sauf le feu ». Des journaux locaux sont pourtant spécialement créés, comme l’Ouest-Eclair, de tendance anti-dreyfusarde modérée. Des meetings sont aussi organisés en ville. Le 29 juillet, une bagarre oppose des militants socialistes à un groupe antisémite dont ils interrompent la réunion. Deux défenseurs de Dreyfus, maître Labori et maître Demange, font l’objet d’une tentative d’assassinat, ce qui provoque un tollé général.

Lorsque le tribunal militaire rend son verdict, Dreyfus n’est pas acquitté, mais il voit sa peine réduite à dix ans d’emprisonnement. Épuisé par les épreuves qu’il a subies, il accepte la grâce présidentielle. Libre, il devra attendre 1906, pour se voir réhabilité. Il retrouve son poste dans l’armée et servira pendant la Première Guerre mondiale. Il meurt en 1935.

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Port Halleguen où Dreyfus a débarqué avant son procès à Rennes

 

 

 

La mémoire de l’affaire en Bretagne

Plusieurs lieux rappellent le passage de Dreyfus en Bretagne. En 1932, la Ligue des droits de l’homme et du citoyen a ainsi installé une plaque commémorative de son débarquement, à Port-Haliguen, en Quiberon, dans le Morbihan. À Rennes, en 1978, le lieu de son procès est devenu le lycée Zola, en hommage à l’écrivain qui avait pris sa défense. Le musée de Bretagne, situé aux Champs Libres, à quelques dizaines de mètres de l’endroit où a eu lieu le procès, propose une exposition permanente sur l’affaire. La famille Dreyfus a en effet légué de nombreux documents à cette institution. L’exposition présente les grands acteurs de l’affaire, des chronologies et restitue l’ambiance de Rennes en 1899. Elle permet aussi de se mettre dans la peau de tel ou tel acteur, afin de mieux cerner les différents points de vue. Il s’agit assurément d’un très bon outil pour comprendre cette affaire si complexe et qui a profondément marqué notre vie politique.

 

Pour en savoir plus :

Jean Guiffan, la Bretagne et l’affaire Dreyfus, Terre de brume, Rennes, 1999.

Pierre Birnbaum, la France et l’affaire Dreyfus, Gallimard, Paris, 1994

 

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