Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Histoires de Bretagne

Un blog d'Erwan Chartier-Le Floch

Le rêve américain des Limantour

Publié le 17 Décembre 2016 par ECLF in Histoire de Bretagne

Le rêve américain des Limantour

Le rêve américain des Limantour

Au milieu du XIXe siècle, un capitaine breton, Joseph-Yves Limantour, prétendit être le propriétaire d’une partie de San Francisco et des îles de sa baie. Débouté par une cour américaine de ses prétentions qui auraient fait de lui l’un des hommes les plus riches du monde, il fit fortune au Mexique, dont son fils devint mininstre.

On connaît assez peu de détails sur la jeunesse de Joseph-Yves Limantour, né en 1812, à Ploemeur, en Morbihan. Il est l’aîné d’une famille de six enfants et son père est l’un des gardes du port de Lorient. Comme nombre d’habitants du pays de Lorient, il s’engage dans la marine marchande et rejoint, dès 1832, l’océan Pacifique où il fait du cabotage entre le Mexique et la Californie.

Cette dernière n’appartient pas alors aux Etats-Unis. Explorée depuis le XVIe siècle par les Européens, les Russes ont établis des colonies au nord et les Espagnols des missions au sud. On en compte une vingtaine en 1821, date à laquelle la Californie devient mexicaine lorsque ce pays accède à l’indépendance. L’économie se développe, tandis que de nombreux colons américains s’installent aussi sur les rives du Pacifique. Les tensions ne cessent de croître entre hispanophones et anglophones dans les années 1830.

 

Terrains à San Fransisco

C’est dans ce contexte que Joseph-Yves Limantour commerce avec la Californie. En 1841, son navire, l’Ayacucho s’échoue à Point Reyes, au nord de San Fransisco. Cette plage porte d’ailleurs aujourd’hui son nom. Parvenu à sauver sa cargaison, il aurait échangé une partie des marchandises contre des terrains à San Fransisco gagés par le gouverneur mexicain. La future mégalopole n’est encore qu’un village.

C’est alors que la tension monte entre les Etats-Unis et le Mexique, les premiers encouragent des mouvements sécessionnistes de colons anglophones au Texas et en Californie, avant de rentrer en guerre. En 1846, les colons américains proclament l’indépendance de la Californie, la « république du drapeau de l’ours ». Les Mexicains sont vaincus et signent un traité en 1848. La Californie rejoint les Etats-Unis quelques temps plus tard.

 

Un capitaine, milliardaire potentiel

Pendant ces troubles, Limantour prend le parti des Mexicains auxquels il livre clandestinement des armes. En 1847, il est d’ailleurs arraisonné par un navire de combat américain, le Warren. Limantour et son équipage ont le temps de se débarrasser de leur cargaison dans l’océan. Le capitaine breton repart au Mexique sans être inquiété, mais préfère rester cinq ans sans revenir en Califonie.

Il fait un retour remarqué à San Francisco en 1852, en présentant de nombreux titres de propriétés portant la paraphe de l’ancien gouverneur mexicain, Micheltorena. Il entend faire valoir ses droits en vertu du traité de paix américano-mexicain qui confirme la propriété des terres. Il revendique 8 propriétés, dont une partie de l’actuelle centre-ville de San Francisco et toutes les îles de la baie.

Ces deux dernières prétentions font potentiellement de Limantour l’un des hommes les plus riches du monde, car la région connaît un extraordinaire développement. En janvier 1848, la découverte de pépites provoque la ruée vers l’or et l’afflux de milliers de colons américains et européens. La population du port de San Francisco explose passe de quelques centaines de personnes en 1847 à 25 000 en 1850 et 70 000 en 18762… Un certain Levi Strauss s’y installe en 1847 et fait fortune en commercialisant les premiers jeans très appréciés des orpailleurs.

 

Ennuis juridiques

On comprend dès lors que les prétentions de Limantour provoquent quelques remous dans ce gigantesque monopoly qu’est devenu la ville. Il est accusé d’avoir produit des faux et d’avoir imité les signatures de hauts personnages mexicains. L’affaire est compliquée car, si les signatures sont bien authentiques, certains documents semblent bien avoir été falsifiés. Limantour et un ami les auraient eux-mêmes placé dans une liasse de vieux papiers du gouverneur conservés à Monterrey. Limantour est inculpé pour faux et parjure par une cour californienne. Libéré sous caution, il s’enfuit. En 1858, la cour fédérale conclut à une fraude et annule les décisions précédentes en faveur de Limantour. Ce dernier se considère comme spolié par les Etats-Unis.

Entre temps, il semble avoir vendu plusieurs terrains et accumulé un joli pécule… De quoi vivre confortablement au Mexique où il a acquis de nombreuses propriétés et possède une somptueuse villa. Limantour est bien introduit dans les milieux dirigeants et s’est lié d’amitié avec le général Porfiro Diaz. En 1884, avec une partie de sa famille, il fait un séjour en Europe et séjourne quelque temps dans le pays de Lorient. Joseph-Yves Limantour, l’homme qui possédait la moitié de San Francisco, décède en 1885 à Mexico où son nom est largement passé à la postérité.

 

 

 

Un Limantour, ministre mexicain

José Yves Limantour est le fils de Joseph-Yves, né en 1854, à Mexico. Il fait ses études au Mexique et en Europe et se spécialise en droit et économie. En 1876, il est professeur de droit international et d’économie politique dans la capitale mexicaine. Il va connaître une brillante professionnelle tout en conseillant le gouvernement mexicain. Il est l’un des chefs de file du courant des Cientificos, des hommes d’affaires et d’experts qui entendent moderniser le pays tout en soutenant la dictature de Porfiro Diaz. En 1893, il devient ministre des finances, poste qu’il occupera jusqu’à la démission de Diaz en 1911. Le Mexique doit à Limantour plusieurs réformes monétaires et des tentatives de modernisation de son administration et des moyens de transport. A partir de 1911, il s’installe en France jusqu’à son décès en 1935. Il a donné son nom à l’un des prix de l’Académie des sciences morales et politiques, remis tous les deux ans.

 

Le livre :

Des Bretons au Mexique

Conquis par Hernan Cortez en 1519-1521, le Mexique a été, jusqu’à son indépendance (1821), une chasse gardée des Espagnols qui en interdisaient totalement l’accès aux étrangers. Un Breton de Vitré, Pierre-Olivier Malherbe, y a séjourné cependant en 1593 en se faisant passer pour un Espagnol. Des marins bretons en ont ensuite fréquenté épisodiquement les côtes et, à partir du XIXe siècle, des voyageurs, des commerçants et des aventuriers en ont parcouru l’intérieur, d’autres Bretons s’y sont installés et y ont fait souche. L’ancien directeur de l’Institut culturel de Bretagne, Bernard Le Nail, qui a lui-même vécu dans ce pays, relate l’aventure souvent méconnue de tous ces Bretons dans cette partie du Nouveau Monde, mais aussi les relations entre les deux rives de l’Atlantique. Le développement de Saint-Nazaire au XIXe siècle est ainsi, dû à la création d’une ligne transatlantique vers le Mexique.

Des Bretons au Mexique, Bernard Le Nail, Les Portes du Large, 2009.

 

Le rêve américain des Limantour
Commenter cet article
M
Étrange et fascinante histoire ! Dire que je suis passé devant Ploemeur cet été, j'aurais vu la ville différemment en ayant cette info.
Répondre