Léon Bertide est l’un des représentants de l’Union générale des travailleurs martiniquais (UGTM), un syndicat de tendance indépendantiste qui a été au cœur des événements qui ont secoué les Antilles durant l’hiver 2009. Si les médias ont moins évoqué le conflit martiniquais que celui de Guadeloupe, il n’en a pas été moins profond et puise ses racines dans une situation similaire. Un accord a été trouvé le 14 mars, alors que Léon Bertide était à Rennes pour un meeting des « syndicats des nations sans État », en marge duquel nous avons pu le rencontrer.
Qu’est-ce que l’UGTM et le collectif du 5 février ?
Nous sommes un syndicat martiniquais - pas français -, d’inspiration indépendantiste et patriotique. Nous n’avons pas de liens structurels avec le Mouvement indépendantiste martiniquais (MIM), qui détient vingt-huit des quarante et un sièges du conseil régional.
Avec sept autres organisations syndicales, nous avons élaboré une plate-forme de revendications pour une politique économique et sociale adaptée à la Martinique. Les principales revendications tournaient autour de mesures d’amélioration des conditions de vie, de création d’emplois stables et durables, de l’augmentation des bas salaires, de la fin de la vie chère, du droit des Martiniquais à travailler chez eux et, enfin, de la reconnaissance du fait syndical martiniquais.
En novembre 2008, nous avons décidé de lancer un mot d’ordre général de mobilisation pour le 5 février 2009.
N’avez-vous pas été pris de court par le conflit guadeloupéen qui a débuté le 20 janvier ?
Les deux luttes étaient indépendantes. Il y a eu des pressions car beaucoup de gens qui, voyant ce qui se passait en Guadeloupe, voulaient que nous commencions plus tôt. Mais nous avons maintenu la date du 5 février car nous estimons que chaque peuple doit aller à son rythme.
Autre différence, le 5 février était une journée de mobilisation, pas le lancement d’une grève illimitée. Ce jour-là, il y a eu près de vingt mille manifestants (sur une population de 410 000 habitants). Devant un tel succès, nous avons reconduit le mouvement le lendemain puis le lundi suivant, où trente mille personnes sont descendues dans la rue, ce qui était extraordinaire. Nous avons alors monté le « collectif du 5 février », qui regroupe une quarantaine d’associations et de syndicats.
Comment expliquer une telle mobilisation ?
Parce qu’il y existe un ras-le-bol général. Les conditions de vie et de travail dans les entreprises martiniquaises sont, en général, détestables, avec un non-respect fréquent des normes de sécurité et de la législation.
Il y a aussi le problème de la cherté de la vie. Tout le monde est excédé par les prix élevés des services et des produits, en raison d’une situation monopolistique qui ne profite qu’à une bande de Békés. Il y a des produits venant de France qui sont commercialisés avec 200 % de profits !
Après plus d’un mois de conflit, qu’avez-vous obtenu ?
Il y a eu des avancées et la mobilisation a payé. Nous demandions 30 % de baisse des prix, elle sera finalement de 20 %. On réclamait 364 € net d’augmentation des bas salaires, inférieurs ou égaux à 1,4 smic, on a obtenu 200 €. On a enfin réussi à faire baisser les prix de certains services comme l’essence, le gaz ou les frais bancaires.
Au fait, c’est quoi ces fameux Békés ?
Ce sont les descendants des esclavagistes qui détiennent toujours une grande partie de l’économie de l’île. Ils sont présents partout (banane, sucre, grande distribution, banque, automobile). Plus grave, ils ont conservé une mentalité arriérée qui remonte au temps de l’esclavage et ils se croient toujours les maîtres. À de rares exceptions près, ils ne comprennent pas les évolutions de la société, dues notamment au développement du syndicalisme martiniquais.
Ils ne s’attendaient pas, en tout cas, à une telle mobilisation.
L’esclavage reste un souvenir douloureux aux Antilles. Pensez-vous que la France a suffisamment fait son travail de mémoire sur le sujet ?
Ce sont les Français du XVIIe au XIXe siècle qui ont pratiqué l’esclavage, mais leurs descendants ne sont évidemment pas responsables de tels actes. Ce qui est fondamental, c’est que les descendants des victimes puissent vivre et s’épanouir dans leur pays sans problème. Nous voulons construire un nouveau pays, débarrassé des scories du passé où tous ceux qui le souhaitent puissent vivre tranquillement. En un mot, que la Martinique puisse exister normalement, avec son identité propre.
Ce n’est pas de repentance que nous avons forcément besoin mais que la France, qui a été responsable de l’esclavage, reconnaisse que c’est aussi son histoire.
Attendez-vous quelque chose des états généraux de l’Outre-mer et d’avancées institutionnelles ?
Nous sommes assez septiques quant aux états généraux. On verra.
Concernant une évolution institutionnelle, l’article 74 de la constitution permet une fusion du conseil général et du conseil régional en une collectivité aux compétences élargies. C’est une alternative intéressante et un projet beaucoup plus avancé que la simple fusion proposée en 2003 et refusée par referendum. Sarkozy y est d’ailleurs favorable.
L’UGTM est un syndicat favorable à l’indépendance. Pensez-vous qu’elle soit pour bientôt ?
Sans doute pas encore, mais je pense qu’on va vers là inéluctablement. Cela se fera par paliers.