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Histoires de Bretagne

Un blog d'Erwan Chartier-Le Floch

1461. La Brière en propriété indivise

Publié le 20 Mars 2009 par Erwan Chartier-Le Floch in Histoire de Bretagne

En 1461, le duc de Bretagne François II confirme le droit des habitants des paroisses de Brière à exploiter les marais de cet étonnant pays en propriété indivis. C’est le premier acte officiel consacrant la particularité d’un terroir dont la forte personnalité s’est maintenue jusqu’à nos jours.



C’est l'un des plus beaux espaces naturels de Bretagne : sur dix neuf mille hectares de marais, de tourbières et d’îles s’étend la Brière, entre les estuaires de la Vilaine et de la Loire, entre Guérande et Saint-Nazaire et Nantes. La Brière s’est formée à l’époque mésolithique, juste après la fin de la dernière glaciation vers 9000 ans avant J.C. Dans un contexte de réchauffement climatique, la mer a alors envahi l’estuaire de la Loire. Seules quelques îles ont surnagé. Puis, cette zone s’est comblée avec les sédiments et les alluvions du fleuve. Elle est restée très humide du fait de son alimentation en eau douce par un cours d’eau, le Brivet.

Vers mille huit cents ans avant J.C., au Néolithique, la Brière prend son aspect actuel, un vaste marais où la tourbe, issue de la décomposition des végétaux, commence à se former. Les marais ont remplacé une forêt, dont les troncs d’arbre, les chênes particulièrement, vont se trouver fossilisés. Ces « mortas » ou « couérons » sont toujours exploités. De nos jours, quelques artisans utilisent ces bois fossiles, à la couleur noire étonnante, pour confectionner de multiples objets, des pipes notamment.

 


La Brière
, pays bretonnant

Dès le haut Moyen Âge, au VIe et au VIIe siècles, les Bretons semblent se fixer dans la région. Ils sont déjà nombreux à l’époque des premiers rois de Bretagne, puisque, dans la Presqu’île guérandaise et en Brière, nombre de paroissiens préfèrent un évêque breton, Gislard, à l’évêque Atcard de Nantes farouche opposant de Nominoë et de son fils Erispoë. Au point que certains chroniqueurs ont évoqué la création d’un évêché de Guérande à cette époque.


Force est de constater en tout cas que cette région est fortement bretonisée au Moyen Âge. Au XVIe siècle, dans son Histoire de Bretagne, d’Argentré indique qu’on parle breton dans la région de Guérande. On y parlera jusqu’au début du XXe siècle un parlé que certains linguistes qualifient de sixième dialecte du breton (en plus du léonard, du trégorrois, du cornouaillais, du vannetais et du breton du Goélo). Ce brehonneik briéron et guérandais était sans doute proche du vannetais. Les parlers de Brière conservent d’ailleurs un certain nombre de mots ou de tournures provenant du breton.

 

Un marais nourricier mais fragile

Depuis la préhistoire, l’homme est étroitement lié à l’évolution des marais. Ceux-ci fournissent aux Briérons de multiples ressources. Si les terres labourables sont très rares et inondables en hiver, l’élevage a été pratiqué depuis longtemps en Brière. Les habitants du marais ont aussi pratiqué la chasse – notamment au gibier d’eau, abondant ici – et la pêche. Le ramassage du bois et la coupe des roseaux leur ont procuré des matériaux de construction. Quant à la tourbe, elle est un excellent combustible pour le chauffage et la cuisson des aliments. Enfin, le produit du curage des canaux, le « noir » est un engrais recherché que les Briérons ont exporté hors de leur territoire






















Néanmoins, les marais sont un milieu fragile et le manque d’entretien des canaux peut provoquer un mauvais écoulement des eaux et la submersion de terrains. Une préoccupation qui existait dès la fin du Moyen Âge. En 1461, une lettre patente du duc de Bretagne François II s’inquiète de la situation : « Et avec ce, par l’abondance desdites eaux, le chemin et voye par lequels le peuple de la paroisse de Montouer […] et autres paroisses voisines avoient accoustumé aller à la dite Brière […] sont tellement empeschez, que les gens du païs n’y pourront aller à bœufs ni charrettes, que paravant le souloin faire… ».

 

L’entretien collectif des marais

Ce document souligne et réaffirme que le marais est propriété indivise des habitants des paroisses de Brière. Dès le XVe siècle, donc, les Briérons ont le droit de gérer collectivement leur territoire. Un droit revendiqué, exprimé dans la devise « Briéron, maître chez toi » et que ne remettront pas en cause les pouvoirs royaux puis les différentes républiques. Ainsi, au début du XIXe siècle, lorsque des compagnies envisagent d’assécher une partie des marais et d’empêcher les Briérons d’extraire de la tourbe en limite de leurs marais, de vives protestations ont lieu. En 1819 d’ailleurs, une décision du conseil d’État limite l’autorisation d’assécher des marais aux parties non tourbeuses. Le percement, effectué à cette époque, de canaux en périphérie n’affecteront pas le marais indivis de Grande Brière.




Cette tradition de gestion collective des marais s’est prolongée dans le temps. En 1838 une commission syndicale de Grande Brière Mottière est créée par ordonnance royale pour réglementer le tourbage, la pêche et la conservation des pâtures et chemins. Vingt et un syndics représentent alors les habitants des différentes communes. Ces syndicats ont aussi géré les canaux de Brière. Ils se sont regroupés dans les années 1960 en une Union des syndicats des marais du Brivet. En 1992, un syndicat mixte ayant pour but l’aménagement hydraulique du bassin du Brivet est créé, regroupant les vingt-cinq communes du bassin versant. Il élabore des programmes de curage et d’entretien des marais en concertation avec le parc naturel régional de Brière, créé pour sa part dans les années 1970.

Grâce à ses efforts collectifs, la Brière demeure un espace naturel exceptionnellement riche, dans un environnement – l’estuaire de la Loire – pourtant fortement industrialisé. Ses habitants, fortement attachés à leurs marais, ont aussi conservé une forte identité locale qui n’est pas le moindre des charmes de la Brière.

 

Pour en savoir plus :

La Brière, pays d’entre terre et mer, Collectif, Hengoun éditions, Pluneret, 2004.

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R
Excellent
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B
Merci pour cet article fort intéressant ! A noter que le pseudo-évêché de Guérande évoqué dans la Chronique de Nantes - et dont Erwan Vallerie suppose qu'il matérialisait la zone comprenant des locuteurs du breton au 9e siècle dans le Comté de Nantes - s'étendait bien au-delà de la Brière puisqu'il allait jusqu'à l'Erdre et au Semnon.
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