Depuis une génération, la guerre de Succession de Bretagne est terminée et l’animosité entre les maisons de Penthièvre et de Montfort semble apaisée. Pourtant en cette année 1420, une nouvelle crise éclate et la Bretagne, ébahie, découvre que son duc, Jean le cinquième, vient d’être enlevé par ses rivaux.
Une cinquantaine d’années après la guerre civile qui a déchiré la Bretagne, la paix semble durablement revenue. Au début de son règne, le duc Jean V, fils du vainqueur d’Auray, a certes eu des relations parfois difficiles avec les descendants de Charles de Blois, mais depuis quelques années, il leur témoigne des gages d’amitiés ostensibles. Marguerite de Clisson, la belle-fille de Charles de Blois et de Jeanne de Penthièvre, et ses enfants sont régulièrement présents à la cour de Nantes. Ils mangent régulièrement avec le duc. Marque particulière d’attention, il arrive plus d’une fois à Charles et Olivier de Penthièvre de coucher avec Jean V dans le même lit, preuve d’amitié cordiale dans la société féodale.
Mais cette réconciliation n’est que de façade pour Marguerite de Clisson, qui ne s’est jamais résignée à faire monter ses enfants sur le trône ducal. D’Argentré, historien breton de la Renaissance, la décrit ainsi : « cette mère estoit pour ses fils une continuelle allumette, les tenant au cœur, leur reprochant qu’ils ne ressembloient en rien à leur père ni ayeul qui estoient morts en la querelle. » Or Marguerite de Clisson sait que, depuis 1419, le dauphin de France est en mauvaise relation avec Jean V, ce dernier lui ayant refusé une aide militaire. Elle entend donc profiter de ses mauvaises relations entre la France et la Bretagne
En février 1420, le duc quitte Vannes pour Nantes. Les Penthièvre lui font dire qu’ils souhaitent renouveler leurs serments de fidélité à son égard et l’invitent dans leur château de Châteauceaux, sur la Loire. Pour le faire venir plus vite, ils lui précisent même « les dames l’attendaient et que s’il ne faisait hâte, la viande se perdrait. ». Jean V passait en effet pour aimer les plaisirs terrestres.
Or, arrivant à quelques lieux de Châteauceaux, Jean V doit mettre pied à terre pour passer un vieux pont. Alors qu’il a traversé, accompagné seulement de son frère Richard et de cinq ou six gentilshommes, des valets des Penthièvre surgissent et achèvent « en riant » de démolir le pont, séparant ainsi le duc du gros de son escorte. Jean V croit d’abord à une plaisanterie. Mais surgissent alors Charles et Olivier de Penthièvre, à la tête d’une troupe de quarante lances. Charles saisit au collet le duc, l’informant qu’il le fait prisonnier pour le compte du dauphin de France. Les gentilshommes du duc et son frère veulent s’interposer, mais après une lutte inégale, ils sont blessés.
Commence alors pour Jean V, une dure captivité. Amené à Châteauceaux, il est ensuite conduit jusqu’au château de Palluau en Poitou, sous la garde d’Olivier de Penthièvre. Ce dernier se montre particulièrement cruel envers son prisonnier, alors qu’il fait halte dans un manoir le soir. Il le laisse sur son cheval, dans le froid, sans manger ni se soulager. « Avions grand besoin de descendre (de cheval) pour notre aisement », témoignera-t-il plus tard.
Le 20 février, le duc est ramené à Châteauceaux pour être présenté à Marguerite de Clisson. Dans la geôle, cette dernière va se montrer hautaine, l’humilie et lui fait promettre de renoncer au duché de Bretagne au profit de ses fils. Abattu, effrayé, Jean V lui promet tout ce qu’elle veut du moment qu’il gare la vie sauve.
L’appel aux armes
Jugeant la place de Châteauceaux imprenable, Margot de Clisson pense triompher. Mais à Vannes, apprenant l’enlèvement de son époux, Jeanne de France lance un appel aux armes à tous les Bretons. Une armée importante est levée. La duchesse demande, sans y parvenir, au roi d’Angleterre qu’il libère Arthur de Richemont, le frère de Jean V, prisonnier depuis la bataille d’Azincourt pour qu’il prenne la tête des opérations militaires. Les envoyés de la duchesse parviennent par ailleurs à persuader de nombreuses compagnies bretonnes, alors engagées en France, de revenir momentanément. À l’époque, la Bretagne est en effet renommée internationalement pour ses soldats qu’elle exporte là où il y a des guerres.
Parallèlement, par voie diplomatique, elle parvient à se réconcilier avec le dauphin de France et à s’assurer de la neutralité de la France.
Pour démoraliser leurs ennemis, les Penthièvre emploient alors un stratagème assez grossier en noyant un valet qui ressemble à Jean V puis en faisant courir le bruit que le duc est mort. Cela n’a pour effet que de renforcer la détermination des troupes fidèles au duc. Une à une, les places des Penthièvre sont prises : Lamballe en mars, dont le château est rasé ; Guingamp, Jugon, La Roche-Derrien, Châteaulin sur Trieux,
Enfin, en mai, l’armée bretonne, commandée par le comte de Porhoët, parvient devant Châteauceaux. La forteresse, située entre l’Anjou et la Bretagne, est plantée sur une hauteur est défendue sur un côté par la Loire. Pour l’historien La Borderie, ce fut « un beau siège, bien défendu, bien attaqué. ». Il commença le 8 ou le 10 mai et s’acheva le 5 juillet 1420.
Un vaste camp, protégé par un rempart de bois et de terre, est érigé par les assaillants, qui font venir des villes de l’intérieur, Ploërmel et Vannes, de gros canons et des bombardes. Ces fortifications ne furent pas de trop lorsqu’un des fils de Margot de Penthièvre, Jean, resté à l’extérieur de Châteauceaux pour harceler l’armée ducale, attaque un matin. Mais l’effet de surprise ne joue pas et il perd beaucoup d’hommes.
Pendant ce temps les assiégeants concentrent leurs efforts sur les points faibles de la place et parviennent à y faire une brèche, qu’ils agrandissent de jour en jour. Marguerite de Clisson comprend alors qu’elle a perdu et décide de négocier. Longtemps gardé prisonnier à Saint-Jean-d’Angély, en Charente, Jean V est ramené à Châteauceaux où il est accueilli en triomphe par l’armée bretonne. Pendant ce temps, Margot de Clisson et les siens sortent du château, la vie sauve.
La première décision de Jean V, libéré, fut de raser Châteauceaux. Après avoir récompensé ses partisans, il fit preuve de mansuétude en pardonnant aux Penthièvre, à la condition qu’Olivier et Charles se présentent devant les États de Bretagne. Mais ces derniers firent défaut, alors qu’ils avaient livré comme otage leur jeune frère Guillaume, innocent dans l’enlèvement de Châteauceaux. Ce dernier restera vingt-huit ans en captivité. Libéré en 1448, on dit qu’il était devenu aveugle à force de pleurer. Ce qui, nous apprend l’historien médiéval Le Baud, ne l’empêcha pas ensuite de se marier et d’avoir quatre enfants.
Loin d’avoir ébranlé son pouvoir, « l’attentat de Châteauceaux » a permis au duc Jean V d’affermir la jeune dynastie des Montfort à la tête de la Bretagne. Quant aux Penthièvre, discrédités par cette affaire, ils ne seront plus jamais en position de prétendre aux destinées du duché.
Histoire de Bretagne, Arthur de la Borderie et Barthélemy Pocquet, tome quatrième, ERO/Coop Breizh.
Histoire de Bretagne, L’État breton (1341, 1532), Skol Vreizh, Morlaix, 2006.