Durant la Révolution, une partie de la Bretagne est en proie à une terrible guerre civile opposant républicains et royalistes, la Chouannerie. Faite de coups de mains, d’embuscades, de batailles rangées et d’exactions des deux côtés, cette guérilla a profondément marqué la péninsule et a longtemps influé sur sa sociologie politique.
À ses débuts, la Révolution semble bien accueillie en Bretagne. Malgré quelques troubles, les paysans, qui constituent alors l’immense majorité de la population, accueillent plutôt favorablement la fin des privilèges féodaux. Mais le climat va se détériorer petit à petit.
À partir de l’été 1790, l’assemblée nationale prend une série de mesures concernant les affaires religieuses, dont la constitution civile du clergé, appliquée à partir de janvier 1791. Désormais, les prêtres doivent prêter serment à la constitution, ce que beaucoup refusent, d’autant que le pape Pie VI condamne cette mesure. Dans les régions les plus catholiques de Bretagne, la mesure passe mal. Nombre de paysans modestes ont également vu d’un mauvais œil les riches bourgeois s’accaparer les Biens nationaux, confisqués à l’Église ou aux nobles émigrés. Des bourgeois qui sont également bien mieux représentés que les paysans à l’assemblée nationale, en raison notamment du suffrage censitaire, ce qui provoque un sentiment de frustration politique que ne vont pas tarder à récupérer les royalistes.
La levée des trois cent mille hommes
Le 21 septembre 1792, la république est proclamée, mais ce n’est pas cet événement qui va mettre le feu aux poudres, ni même l’exécution de Louis XVI, le 21 janvier 1793, mais l’appel sous les drapeaux de nombreux jeunes hommes. En effet, afin de faire face à l’entrée en guerre de nombreuses monarchies européennes contre la France, la Convention adopte un décret pour organiser la levée en armes de trois cent mille hommes en janvier 1793, ce qui va provoquer de vives réactions dans les campagnes, où on ne veut pas voir partir à l’armée tant d’hommes si nécessaires aux travaux des champs.
En mars 1793, à l’annonce de la levée des trois cent mille hommes, c’est l’embrasement en Vendée et dans le sud du pays nantais. Les jacqueries du début vont se transformer en véritable insurrection. La Vendée militaire qui va durer jusqu’en décembre 1793 fait trembler la république, dont les armées sont mises en déroute à plusieurs reprises. À la fin de 1793, la “virée de Galerne” voit les armées vendéennes traverser la Loire puis marcher jusqu’à Granville, où elles espèrent un secours britannique. Vaincus, les insurgés rebroussent chemin et sont décimés. En cours de route, ils ont été rejoints par près de six mille hommes du Morbihan et par des insurgés royalistes d’Ille-et-Vilaine, notamment une troupe de la région fougeraise commandée par un ancien contrebandier mayennais, Jean Cottereau, dit « Jean Chouan », dont le surnom aurait donné son nom à la Chouannerie, la guérilla qui va suivre la guerre de Vendée à partir de 1794.
La chouannerie
À Paris, en ce début de 1794, on pense donc en avoir fini avec cette rébellion à l’ouest. Le général Kleber préconise même des mesures de clémence et prône le dialogue pour rallier les derniers chefs insurgés. Mais le feu n’est pas éteint. Plutôt que d’affronter directement les “Bleus”, les insurgés vont désormais préférer leur mener une véritable guérilla. Elle va toucher la Loire-Atlantique, l’Ille-et-Vilaine, le Morbihan et la partie est des Côtes-du-Nord. Le Finistère ne sera que très peu touché par le phénomène. Dès février 1794, des embuscades dans le pays de Fougères font plusieurs dizaines de morts chez les Bleus. Dans la région de Vitré, c’est un ancien officier républicain et girondin, Puisaye, qui prend le contrôle de l’insurrection.
Outre les Marches, la seconde grande zone de chouannerie en Bretagne se situe dans le pays vannetais. Entre Auray, Vannes et Ploërmel, plusieurs chefs vont s’imposer durant l’année 1794, dont Cadoudal et Guillemot, surnommé « le roi de Bignan ». Ils mènent des coups de main et font du Morbihan intérieur une zone où l’insécurité est permanente pour les républicains.
Un des plus grands exploits des chouans du Morbihan demeure la prise de la poudrerie de Pont-de-Buis, dans le Finistère. Quelque cinq cents hommes participent à ce raid spectaculaire entre le 12 et le 17 juin. Ils traversent la Bretagne centrale, s’emparent d’un véritable arsenal, puis parviennent à échapper aux colonnes républicaines lancées à leur poursuite.
Le débarquement de Quiberon
Le 25 juin 1795, les premières voiles d’une escadre britannique font leur apparition en baie de Carnac. Le 27, les premières troupes débarquent, dont de nombreux nobles immigrés qui regardent avec morgue les chouans du Morbihan arrivés en masse pour combattre les républicains. En juillet, Hoche, avec une dizaine de milliers d’hommes, organise la contre-attaque républicaine et bloque les royalistes dans la presqu’île de Quiberon. Le débarquement anglo-royaliste tourne au fiasco.
Malgré cet échec, la chouannerie ne cesse pas. Cadoudal a préservé ses forces après l’affaire de Quiberon. La guérilla s’intensifie dans le Morbihan où Cadoudal commande à huit divisions et met en place une administration parallèle. Hoche, quant à lui, s’occupe d’abord de la Vendée, puis des Marches de Bretagne. Sentant le vent tourner, Cadoudal négocie. Le 18 juin 1796, les chefs de division des chouans du Morbihan font leur soumission. En août 1796, l’état de siège est levé dans les départements de l’ouest et le culte catholique est à nouveau autorisé, ce qui contribue à l’apaisement général.
Une troisième chouannerie aura cependant lieu en 1799 et 1800, mais les combattants semblent lassés de tant d’années de guerre civile. En janvier 1800, la bataille du Loch, près de Grand-Champ met aux prises dix mille chouans à quatre mille républicains. Après plusieurs heures d’affrontement, les républicains doivent se retirer mais effectuent une retraite en bon ordre. C’est un échec pour les royalistes. Le 14 février 1800, Cadoudal et ses dernières troupes vont leur soumission au château de Beauregard, près de Vannes. La chouannerie bretonne s’achève, même si va continuer à profondément marquer la région, notamment en termes de sociologie politique, jusqu’au XXe siècle.
Pour en savoir plus
Nathalie Meyer-Sablé, Christian le Corre, la chouannerie et les guerres de Vendée, Ouest-France, Rennes, 2008.
Roger Dupuy, La Bretagne sous la Révolution et l’Empire, Ouest-France université, 2004.