Difficile d’imaginer aujourd’hui un village grouillant d’activité, résonnant du cliquetis métallique des outils de forgerons et envahi par les fumées du haut-fourneau, dans un lieu aussi bucolique et paisible que les forges des Salles, nichées dans un vallon de la forêt de Quénécan, en centre Bretagne. C’était pourtant le quotidien de cet important site métallurgique, unique en Bretagne. Créées au XVIIe siècle par les ducs de Rohan, les forges de Quénécan ont fonctionné jusqu’en 1877, avant de devenir une des principales curiosités touristiques du centre Bretagne.
C’est une longue suite d’une quinzaine de logements, tous semblables, que le visiteur découvre en arrivant aux forges des Salles. Exceptés les toits en ardoises, on imaginerait plutôt ce type de bâtiments dans les corons du nord de la France ou en Lorraine. Et pourtant, on est bien en centre Bretagne, dans un lieu unique pour la concentration des activités métallurgiques et humaines : hangar de stockage, haut fourneau, atelier de charpentier, habitations, école, poste, bistrot…
Du minerai, du bois, de l’eau
L’histoire du site commence en 1624, lorsque les ducs de Rohan décident d’y fonder une forge. En effet, il y a ici du minerai de fer de très bonne qualité à 20 km à la ronde. L’endroit possède aussi tous les autres éléments nécessaires à une activité métallurgique : du bois en abondance pour fabriquer du charbon, le combustible utilisé pour fondre le métal, et de l’eau nécessaire pour actionner la roue à aube qui faisait fonctionner les deux soufflets permettant de chauffer le haut-fourneau jusqu’à 2 000 degrés.
En fait, la chaîne de production commençait dans la forêt de Quénécan où travaillaient les charbonniers. Au sommet de son activité, la forge consommait en effet plus de 400 hectares de bois par an et ils étaient une centaine, vivant dans des huttes dans la forêt, à produire le charbon de bois, une opération longue et pénible, le bois mettant une semaine à se consumer avant d’être transformé.
Quant au minerai, affleurant à même le sol, il était extrait des terrains aux alentours. Les ouvriers creusaient des puits jusqu’à dix mètres de profondeur, puis les rebouchaient. Le minerai était ensuite stocké dans d’imposants hangars, toujours visibles, avant de prendre le chemin du haut-fourneau, via des wagonnets sur rails.
Dans la fournaise du haut-fourneau
Le haut-fourneau, mesurant plus de dix mètres de haut, était le cœur des forges. On y entassait le charbon de bois, le minerai et la castine, un autre minéral qui augmente la qualité de la fonte. On chauffait ensuite jusqu’à 2 000 degrés pour faire fondre le métal qui, plus lourd, se concentrait en bas. Toutes les 9 heures, soit deux à trois fois par jour, les ouvriers procédaient à une coulée. Le métal incandescent s’écoulait alors dans une rigole et sur un lit de sable pour obtenir des gueuses de fonte, de longues barres faciles à entreposer.
À son apogée, la forge de Quénécan produisait jusqu’à 1 000 tonnes de fonte par an. On y fabriquait aussi des objets finis : plaques, socs de charrues, outils divers. Une partie de la fonte était aussi refondue pour obtenir du fer, de meilleure qualité. Avec trois kilos de fonte, on obtient deux kilos de fer.
Moderne pour l’époque
Les forges de Quénécan furent achetées en 1802 par le conte de Janzé qui se passionna pour cet établissement industriel que ses successeurs achevèrent de développer. C’est donc aux contes de Janzé qu’on doit l’organisation si rationnelle de ce site.
Les ouvriers, tout d’abord, étaient logés dans la « Rangée », un ensemble d’une quinzaine d’habitations collées les unes aux autres d’une superficie de 25 m2. Dans chacune d’entre elles, on logeait une famille entière. Pour les maîtres des forges, cette disposition présentait l’avantage de disposer d’une main-d’œuvre sur place, à proximité de la production.
Plus loin, les habitations des contremaîtres se distinguent par leur importance. Elles sont d’ailleurs orientées au sud pour profiter du soleil. Le village des forges s’organise autour des lieux de vie communautaires. Il y avait un café-épicerie, qui n’a fermé qu’en 1959 et deux bureaux de postes. La limite entre les Côtes-d’Armor et le Morbihan passe en effet au milieu du site et l’administration avait décidé qu’il fallait absolument deux bureaux de poste, un par département.
On trouvait aussi une chapelle, très sobre et sans clocher. Une sobriété peut-être due aux Rohan, longtemps influencés par le protestantisme. Autre particularité, la création en 1877, d’une école « catholique, mixte et gratuite », qui fonctionna jusqu’en 1968.
Un îlot de prospérité
La « Régie » était un des bâtiments les plus importants du site. C’est dans cette pièce que les ouvriers recevaient leur solde. C’est là qu’officiait le régisseur, le second personnage en importance des forges. Il était aussi chargé de procéder à des distributions gratuites de nourriture et de vêtements pour les pauvres. Îlot de prospérité par rapport aux campagnes environnantes, les forges étaient aussi l’objet de nombreuses sollicitations.
Cette pauvreté contraste d’ailleurs avec l’opulence du logis des maîtres des forges. Pour leur agrément, les contes de Janzé ont aussi aménagé un « Thabor », des jardins en terrasses. Grands amateurs de chasse, ils ont fait construire un immense chenil pour leur meute et de vastes écuries. À proximité, on trouve l’atelier d’un autre personnage d’importance, le charpentier. Ce dernier ne devait pas chômer, sachant qu’il y a plus de 2,5 hectares de toiture sur le site.
Minuit, le 1er juillet 1877, les forges s’arrêtent
Les forges de Quénécan étaient rentables en temps de guerre, période de forte demande de métal. Après celle de 1870, s’ouvre une longue période de paix, durant laquelle la production centre bretonne est concurrencée par la fonte de Lorraine.
Le 1er juillet, à minuit, les forges s’arrêtent après deux siècles d’activité. Le haut-fourneau est démonté peu de temps après. Les maîtres des forges resteront cependant soucieux des leurs employés. Des mesures de reconversion, soucis peu en vogue à l’époque, seront prises, notamment la construction d’un moulin à tan qui est installé pour fabriquer de la poudre d’écorce, utilisée dans le séchage des peaux. D’autres ouvriers trouvent de l’embauche dans les exploitations forestières de Quénécan. Quant aux contes de Janzé, ils conservent leur manoir des Forges comme relais de chasse, contribuant ainsi à la conservation de ce patrimoine industriel unique en Bretagne.
En savoir plus sur le site des forges de Quénécan :
http://pagesperso-orange.fr/du.pontavice/LesForgesDesSalles.htm