Lorsqu’on évoque les atrocités commises durant les guerres de la Ligue en Bretagne, on a souvent coutume d’évoquer les "exploits" de Guy Eder de La Fontenelle. Pourtant, il ne fut pas le seul chef de guerre cruel et sans vergogne et s’il tenait — du moins en apparence — pour le parti ligueur et catholique, dans l’autre camp aussi on trouvait des personnages au comportement équivoque. Tel est le cas du redouté Yves du Liscoët.
Le château du Bois-de-la-Roche, en Coadout se dresse sur une colline, au milieu des forêts de l’Argoat, le pays des bois, à quelques kilomètres au sud de Guingamp. De la forteresse médiévale ne subsiste qu’une tour massive, réaménagée aux xviiie et xixe siècle. A la fin du xve siècle, le château fut pillé et brûlé par le vicomte de Rohan, aux ordres du roi de France, en représailles contre le seigneur du lieu, fidèle au duc de Bretagne, qui avait mis à sac son château de Quintin. Près d’un siècle plus tard, le Bois-de-la-Roche appartient à Yves du Liscoët qui, en ce début des guerres de la Ligue, est sans équivoque royaliste. Un choix logique, puisqu’il est un des quelques nobles trégorrois de religion réformée. Né catholique, il s’est converti par amour. "Il était marié, rapporte le chanoine Moreau, à une fille de la maison de Vaux en Anjou, calviniste de son jeune âge; elle était belle par excellence. Le sieur du Liscoët en la recherchant en fut passionnément épris. Ayant eu bonne réponse que sa maîtresse ne l’épouserait que calviniste, lui était catholique, changea de religion et le lui promit par serment solennel, qu’il garda fidèlement jusques à sa mort, et aima mieux, le misérable, faire banqueroute à Dieu et à son salut qu’au beau nez d’une femme. »
La surprise de Carhaix
Malgré son importance et son rôle de carrefour commercial du centre Bretagne, Carhaix, nous apprend le chanoine Moreau, "n’était pas fort, n’étant clos que de barrières et chétives murailles, sans aucune garnison". Ce samedi matin de 1590, la ville est assoupie. On y a célébré le mariage de la fille Guillaume Ollimand, greffier de la ville avec un notable quimpérois, Antoine Silly. Les réjouissances ont été conséquentes et "les habitants, après bonne chère des noces, dormaient profondément, ne se doutant rien de moins que de l’ennemi." Coupable insouciance, car, deux heures avant l’aube, une forte troupe de royaux, commandée par Kergourmarc'h, Liscoët, Tremblaye et Bastinaye, arrive aux abords de la capitale du Poher. Mettant pied à terre, quelques cavaliers ont tôt fait d’escalader les faibles fortifications et d’ouvrir les barrières "et firent un chemin à la cavalerie qui y entra en même temps et sans aucune résistance."
Selon Moreau, toujours, c’est une belle prise que font là les royaux : "Le lendemain, ils y demeurèrent au pillage qui fut grand, parce que chacun y avait apporté ce qu’il avait de plus beaux ameublements, pour honorer les noces." La surprise a été de taille pour les Carhaisiens, mais son effet s’estompe rapidement. Dans toutes les paroisses environnantes, le tocsin sonne et "les paysans se mirent incontinent sous les armes, de toute part s’acheminant à Carhaix sans ordre ni discipline de guerre." Une première troupe, venant de Châteuneuf-du-Faou arrive à proximité de Carhaix, au niveau du moulin du duc. Ils barricadent le pont lorsqu’arrivent une vingtaine de cavaliers royaux qui les provoquent. Malgré les exhortations des quelques gentilhommes qui tentent de les encadrer, les paysans en armes se ruent vers leurs ennemis. C’était évidemment une ruse, le gros de la cavalerie des royaux les attendant en embuscade. "Il y eut, en cette déroute grande tuerie de paysans par leur faute."
Le manchot du Liscoët
Une autre troupe venant de Pleyben, est en route et arrive devant Carhaix, le dimanche. Or, "les royaux, poursuit Moreau, pour la grande tuerie qu’ils en avaient faite le jour précédent, pensant tout le pays vaincu, et ne croyant pas que personne davantage eût osé bouger, si bien qu’ils ne se doutaient plus de rien." Le combat qui s’ensuit est confus. Les paysans cornouaillais parviennent à entrer dans la ville, mais sont arrêtés par les tirs de mousqueterie. C’est alors que Liscoët, à la tête d’une troupe de cavaliers parvient à les contourner et à les attaquer sur leurs arrières. L’engagement est très meurtrier, mais les royaux en sortent vainqueurs et mettent en déroute leurs ennemis. Dans l’engagement, Yves du Liscoët a été grièvement blessé : "y eut la main droite entièrement coupée d’un coup de hache par le col du bras, et tomba ladite main à terre, et l’on assure que ce fut le prêtre Linlouët qui lui donna ce coup."
Désormais, le chef royaliste sera surnommé "le manchot du Liscoët". Rendu fou de rage par sa blessure, en représailles, il ordonne qu’on mette le feu à la ville de Carhaix. D’après Moreau : « la plus belle rue de la ville fut entièrement brûlée, laquelle n’a été encore rebâtie ».
Le sac de Châteauneuf-du-Faou
Les années suivantes, on retrouve Liscoët en Trégor et en Cornouaille, prenant part à divers coups de mains. En 1592, il est un des capitaines de l’armée royale qui affronte Mercœur à Craon, dans le Maine. Les Ligueurs remportent une éclatante victoire, mais Liscoët, par son sang froid, parvient à organiser au mieux la retraite de la troupe dont il a la charge. Quelque temps plus tard, il est chassé par Mercœur du château de Quintin. Il parvient alors à s’emparer de la forteresse de Corlay qu’il fortifie. Avec ce point d’appui, où lui succédera La Fontenelle, il ravage la haute Cornouaille.
Le 23 mars 1593, il arrive ainsi dans le bourg de Châteuneuf-du-Faou avec quatre cents hommes. "Y fit beaucoup d’insolences et de cruautés, explique le chanoine Moreau. […] Plusieurs des habitants et réfugiés y furent tués, les autres qui pouvaient payer rançon retenus prisonniers, et fit mettre le feu aux plus belles maisons de la ville, qui causa grande ruine." Pire, surtout aux yeux de notre chanoine, les ecclésiastiques catholiques y sont particulièrement maltraités par les soldats protestants. Un prêtre qui ramassait une hostie consacrée est ainsi exécuté.
Violences à Mézarnou
Chassé de cette haute Cornouaille qu’il avait bien contribué à piller, Liscoët pousse ensuite à l’ouest. On voit ses troupes occuper un temps Tréguier. En 1594, il est gouverneur de Landerneau. Non loin de cette dernière ville, le manoir de Mézarnou, en Léon, était au centre d’un riche domaine appartenant à Alain Percevaux. Celui-ci avait été sympathisant de la Ligue à ses débuts, puis s’était rapproché des royalistes et notamment du puissant gouverneur de Brest, Rieux-sourdéac. Percevaux avait demandé la protection de ce dernier et de son capitaine à Landerneau pour protéger ses biens qui comprenaient notamment "six douzaines de vaisselles d’argent pour servir la cuisine, six autres douzaines pour servir le dessert; six saunières d’argent doré et six saunières d’argent non doré; deux flacons d’argent avec leurs chaînes aussy d’argent; quatre douzaines d’assiettes aussy d’argent; demie douzaine de brasières d’argent …" et "deux cent quarante couvertures de lits, tant de fines Cathelmones que drap de Londres". De telles richesses ne pouvaient en effet qu’attirer les convoitises comme on va le voir par la suite.
En cet après-midi du dimanche 1er août 1594, Alain de Percevaux s’apprête à recevoir à souper Yves du Liscoët. Le gouverneur de Landerneau arrive accompagné de deux cavaliers. L’hôte et son invité se mettent à table et discutent tranquillement, lorsqu’arrivent six hommes en armes de Landerneau affirmant que les Ligueurs menacent la ville. Le manchot du Liscoët ne semble guère s’en émouvoir mais leur demande de rester. Le repas se termine gaiement. Mais, au moment où ils se lèvent de table, Liscoët empoigne son hôte et le menace de son épée, lui expliquant qu’il le fait prisonnier au nom de Sourdéac. Les hommes de Liscoët s’emparent des domestiques du manoir, en tuant deux. Plusieurs femmes de la maison sont violées. Le capitaine royaliste prend d’ailleurs part aux violences. Dans un inventaire de 1603, relatif à ce pillage, on apprend que :"Ledit seigneur du Liscoët, ne pouvant forcer l’une d’icelles filles, la fit sauter par la fenêtre d’une des chambres hautes en bas. Cette action fit qu’elle eut le corps et autres membres brisez et fut par longtemps sur le lit, et néanmoins ledit brisement la fit forcer violler ès ses gens de guerre en sa présence."
Alain Percevaux est envoyé à Brest où il croupit six mois dans une basse fosse avant de payer une rançon de "neuf mille cinq cents écus". Au manoir de Mézarnou, le pillage va durer plusieurs semaines. Les hommes du manchot emportant tous les biens qu’ils y trouvèrent et brûlant les portes, les fenêtres et les meubles qu’ils ne pouvaient emporter. A noter qu’on a souvent attribué ce pillage à La Fontenelle qui, pour une fois n’y était pour rien. Il est vrai qu’Alain Percevaux n’était autre que le beau-père de Marie Le Chevoir, la jeune et riche héritière que le "folâtre Guyon" enleva et épousa peu après.
Le siège de Roscanvel
Yves du Liscoët n’allait pas profiter longtemps du fruit de ses rapines au Mézarnou. A la fin du mois d’août, on le retrouve au siège du fort de Roscanvel par l’armée royale. A la pointe qui porte désormais leur nom, les Espagnols, envoyés en soutien à Mercœur par Philippe II, avaient construit une importante forteresse dont il faudra plusieurs semaines de siège pour les en déloger. Les assiégeants doivent en effet subir des intempéries incessantes et plusieurs épidémies. Leur artillerie est impuissante contre les doubles remparts talutés du fort. De plus, les Espagnols multiplient les sorties.
La cinquième semaine du siège, une centaine d’assiégés s’élance ainsi hors du fort. "Donnant tête baissée, relate le chanoine Moreau, sans aucun empêchement, jusques auxdites tranchées, où ils savaient que plusieurs soldats travaillaient, en tuèrent un grand nombre." Parmi les victimes, on dénombre le manchot du Liscoët : "Il était à voir les soldats et pionniers travailler, se tenant sous une espèce de cahute couverte de branchages et de terre pour se garantir de la pluie. Entendant l’alarme de la sentinelle et de ceux qui étaient dans le quartier, qui criait à l’ennemi, si bien qu’il fut aussitôt à la tranchée; le sieur du Liscoët qui ne songeait à rien moins, sort de la cahute et saute sur le bord du fossé, n’ayant que son épée au côté, où il fut aussitôt enfoncé de coup de piques et tué sur place."
Ainsi mourut Yves du Liscoët, chef de guerre courageux mais parfois cupide et cruel. Une belle légende rapporte qu’au moment de son décès, son cheval bridé et sellé, s’élança à bride abattue. Il se jeta dans la rade de Brest qu’il traversa à la nage jusqu’à Plougastel pour se rendre au château de Kergoat, en Daoulas, où séjournait Philippe de Maridor, la femme du manchot. Fumant, épuisé, le fidèle animal s’écroula alors, mort, devant celle-ci.
Pour en savoir plus
Skol vreizh, histoire de Bretagne
Hervé Le Goff, La guerre de la Ligue en basse Bretagne
Chamoine Moreau, Histoire de ce qui s’est passé en Bretagne durant les guerres de la Ligue.