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Histoires de Bretagne

Un blog d'Erwan Chartier-Le Floch

Le plan routier breton

Publié le 18 Septembre 2009 in Histoire de Bretagne

 

Imaginé par le Comité d’études et de liaison des intérêts bretons (CELIB) puis accordé par de Gaulle et Pompidou à la fin des années 1960, le plan routier breton visant à désenclaver la Bretagne et à améliorer les liaisons internes dans la péninsule a été un long combat qui a changé la région.

Le tableau économique et social de la Bretagne du début des années 1950 est sombre : à l’exception de l’estuaire de la Loire, la péninsule est passée à côté du développement industriel. Son agriculture est encore très traditionnelle et peine à assurer des emplois viables. Les petites et moyennes agglomérations ne parviennent pas à fournir des débouchés à une population rurale qui, du coup, préfère immigrer. Faute d’infrastructures, la région semble condamner à se vider de ses forces vives. Le sentiment d’isolement est d’autant plus fort que les routes, héritées pour la plupart des voies d’ancien régime, sont en général mauvaises. Il faut ainsi bien plus de trois heures pour relier Rennes depuis Brest ou Quimper. Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, l’essentiel des déplacements se fait d’ailleurs par le chemin de fer, la marche ou… les transports hippomobiles. On compte encore 338 000 chevaux en 1950 dans la péninsule. Seuls les axes principaux sont bitumés…

 

Le plan du CELIB

Lancé en 1950 en réponse au déclin de la Bretagne, le Comité d’études et de liaisons des intérêts bretons (CELIB) va s’investir dans le dossier routier breton. Dès 1953, un Rapport d’ensemble sur un plan d’aménagement, de modernisation et d’équipements de la Bretagne est adressé au gouvernement mais reste en partie lettre morte. L’action du CELIB a cependant pour effet d’entraîner des décentralisations industrielles en Bretagne, dont l’une des grandes entreprises automobiles, Citroën, qui s’installe à Rennes au début des années 1960. À cette occasion, une première section à double voie, la rocade sud de Rennes, est construite.

En 1962, Robert Buron, ministre des transports et maire de Laval fait adopter le principe d’une autoroute entre Paris et Le Mans, qui devait ensuite se prolonger vers la Bretagne. Il faudra cependant attendre 1978 pour que cette autoroute atteigne la capitale du Maine. Quant à l’amélioration des routes bretonnes, le projet semble rester à l’état de promesse, malgré un intense lobbying des élus et du CELIB.

 

Un acquis de mai 68

C’est, semble-t-il, la peur du gouvernement d’une contagion du mouvement étudiant au monde agricole et aux revendications régionalistes qui va faire rapidement évoluer les choses en mai 1968. Pour calmer les colères bretonnes, l’État décide de lancer un Plan routier breton, préparé par le rapport de Jacques Ferret au gouvernement. Ce dernier propose de « réaliser dans des délais rapides, les équipements de communication et les investissements intellectuels qui permettront à l’extrême ouest de vaincre son éloignement, de sortir de son isolement et d’accéder à un développement moderne. » Le 31 mai 1968, une délégation du CELIB rencontre le premier ministre Georges Pompidou qui est d’accord pour lancer un programme d’amélioration des routes. Le 28 juillet, le nouveau premier ministre, Couve de Murville, reçoit à nouveau une délégation du CELIB et annonce que « le programme routier portera sur la mise en quatre voies de deux axes nord et sud et devra être achevé d’ici 1975. Des crédits importants sont également prévus pour continuer les améliorations de l’artère centrale 164 bis. » Des négociations secrètes se poursuivront jusqu’à l’automne. Les Bretons peuvent compter sur plusieurs atouts, dont l’influence de Sabouret, énarque et proche de René Pleven, alors directeur de cabinet de Couve de Murville.

En octobre 1968, la Bretagne peut pavoiser : le gouvernement vient de débloquer 800 millions de francs de l’époque pour les routes. Et le 2 février 1969, en visite à Quimper où il vient annoncer un référendum sur la régionalisation et où il se permet quelques mots en breton, le général de Gaulle confirme le lancement du Plan routier breton.

 

La question financière

Très tôt se fait jour la question du financement. Certes, l’État a débloqué des fonds, mais ils ne sont pas suffisants. Les ingénieurs prévoient de réutiliser d’anciens tracés et de commencer par contourner les villes. Échaudés par de nombreuses promesses gouvernementales non tenues, les élus bretons plaident pour que soient d’abord réalisées les infrastructures de l’ouest de la Bretagne, craignant que le manque de crédit n’affecte les territoires les plus éloignés de Paris. Brest-Châteaulin sera ainsi l’un des premiers tronçons construits. Très vite, et cela sera une première en France, les collectivités vont mettre la main à la poche pour accélérer les travaux. Cette participation va s’accentuer après la décentralisation du début des années 1980, lorsque les conseils régionaux sont créés et que les collectivités locales se voient octroyer une autonomie financière et décisionnaire plus importante.

Contrairement à une légende bien ancrée, ce n’est pas grâce à Anne de Bretagne que les quatre voies sont gratuites en Bretagne. Devant la détermination des élus bretons et inquiet d’une forte contestation notamment de la part des milieux paysans, le gouvernement a décidé de ne pas créer d’autoroutes à péage en Bretagne. En 1975, Cofiroute tente de récupérer le tronçon entre la Gravelle et Rennes, mais l’État refuse sous la pression des élus régionaux.

 

Les premières « biroutes »

Dans la première moitié des années 1970, la Bretagne se couvre donc de chantiers, qui seront achevés une vingtaine d’années plus tard. Les Bretons apprennent à conduire sur ces nouvelles 2 x 2 voies, que certains ont rebaptisés « biroutes ». La presse régionale donne d’ailleurs de nombreux conseils sur les façons de s’engager et de parcourir ces nouveaux axes.

Si le relief relativement clément du massif armoricain n’a pas nécessité de travaux titanesques, le Plan routier breton a cependant entraîné la réalisation d’ouvrages d’arts importants, comme le pont Chateaubriand sur la Rance, les viaducs de Saint-Brieuc ou le pont de l’Elorn, inauguré en 1994.

Vingt-cinq ans après le lancement du plan routier breton, au milieu des années 1990, la Bretagne est couverte d’un réseau routier performant et moderne, qui a accompagné le développement de l’automobile. La construction d’une autoroute des estuaires, entre la péninsule ibérique et la Hollande, passant par Nantes et Rennes, a achevé de l’intégrer aux grands réseaux européens. Avec un échangeur tous les sept kilomètres (contre un tous les vingt-cinq sur les autoroutes françaises), les quatre voies bretonnes permettent également de bien irriguer le territoire, notamment les petites et moyennes agglomérations. Le Plan routier breton s’est révélé un outil indispensable pour l’aménagement de ka péninsule. Que serait en effet aujourd’hui la Bretagne sans ce réseau routier ?

 

Le lent combat pour l’axe central

Dès les débuts du Plan routier breton s’est posée la question de l’axe central, la RN 164, l’ancienne route reliant Ancenis à Landerneau, en passant par Loudéac, Rostrenen, Carhaix et Châteaulin. En 1969, à Quimper, le général de Gaulle annonce que seront construites deux quatre voies au nord et au sud, ainsi qu’une route à trois voies au centre de la péninsule. Si la satisfaction est générale, certaines voix se font déjà entendre pour dénoncer la différence de traitement vis-à-vis de l’axe central. Plusieurs élus du centre de la péninsule avaient en effet proposé un plan routier en « arrêtes de poisson », avec des transversales nord-sud. Ils craignaient qu’une différence de traitement ne marginalise encore plus le centre de la péninsule. Le principe d’une « trois voies », trop dangereuse, est abandonné rapidement. Des tronçons à quatre voies vont être construits çà et là, comme la déviation de Châteauneuf-du-Faou. Dans les années 1980, les choses changent avec la décentralisation. Dès sa mise en place en 1986, le premier conseil régional élu lance des études qui concluent à la nécessité de mettre à quatre voies la RN 164. En 1988, les centre-Bretons créent un « comité pour l’aménagement à 2x2 voies de l’axe central », présidé par Jean Hourmant, alors maire de Plonévez-du-Faou et qui a longtemps incarné ce combat. Des manifestations en tout genre sont organisées. En 1992, finalement, une décision ministérielle intervient pour une transformation à 2x2 voies. De nouveaux tronçons sont budgétisés et réalisés et l’axe central avance peu à peu. Il reste à ce jour plus de soixante-dix kilomètres encore à couvrir entre Rennes et Châteaulin.

 

Pour en savoir plus

Jean Ollivro, « l’exception routière bretonne », ArMen n° 132, janvier 2003.

Collectif, Le plan routier breton, Presses des Ponts-et-Chaussées, Paris, 1994.

 

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