Le château de Nantes rouvre donc au public en cette année 2007. Au premier abord, l’opération est impressionnante. La transformation de la grande cour frappe, même les habitués du lieu : les façades du Grand et du Petit gouvernement, la tour de la Couronne d’or, ont en effet retrouvé leur apparat et leurs murs de tuffeau de Loire rayonnent de blancheur. Ils rappellent d’une manière éclatante la puissance et le faste des derniers ducs de Bretagne. Car, en lançant la construction de cette vaste citadelle, conçue comme un palais et le siège d’une partie de ses administrations, le duc François II était bien évidemment animé d’une forte volonté ostentatoire. Par la magnificence de ses résidences, le prince breton faisait étalage de son pouvoir et de richesse. Il entendait tenir son rang parmi les souverains européens, dont il recevait régulièrement les représentants. Rappelons aussi que construire un château fort est un acte fort. Le droit de forteresse est un principe régalien dont dispose le duc de Bretagne, c’est ainsi lui qui accorde à ses vassaux la permission ou non de construire des places fortes dans la péninsule.
Les témoins de l’Etat breton médiéval
Plus qu’une simple forteresse ou une résidence, le château de Nantes – comme les autres places fortes du duc – participe donc d’un projet politique, celui de la construction d’un Etat breton au Xve siècle, doté d’administrations performantes et dirigé par des ducs qui entendent affirmer leur souveraineté dans tous les domaines et s’affranchir complètement de toute forme de tutelle française. A noter que Nantes n’est pas vraiment une capitale, au sens moderne du terme. Le duc de Bretagne dispose d’un certain nombre d’autres résidences. Comme les souverains de l’époque, il est en effet en continuel déplacement, la cour et une partie de l’administration le suivant dans ses pérégrinations.
Ces ducs de la maison de Montfort demeurent bien évidemment des grands féodaux, mais leur projet politique est soutenu par une partie des élites bretonnes de l’époque, notamment dans les pays rennais et nantais qui fournissent une bonne partie de l’administration. « Une véritable idéologie indépendantiste se développe en Bretagne à la fin du Xve siècle et s’appuie un sentiment réel, souligne l’historien Jean Kerhervé. Si cet Etat breton a pu se développer, c’est qu’il y autre chose qu’une simple aristocrate à la tête d’un duché quelconque, comme cela peut être le cas dans le Berry ou en Anjou par exemple… »
Les grands châteaux ducaux demeurent donc les témoins de cet Etat breton florissant au Xve siècle sous la maison des Montfort. Leur construction, leur destruction éventuelle ou leur rénovation sont porteuses d’une forte charge symbolique. Comme par exemple le château de Saint-Aubin-du-Cormier qui a été fouillé en partie dans les années 1990. Il s’agit d’une construction du duc Pierre Mauclerc dans la première moitié du XIIIe siècle. Après la célèbre bataille de 1488, qui voit la défaite définitive de l’armée ducale, les troupes françaises en entreprennent la démolition partielle. Elles vont totalement détruire la partie ouest du château, ne laissant en place que la moitié est du vieux donjon, qui fait face à la frontière française. L’acharnement – on arrache jusqu’aux pavements du sol – mis dans cette destruction ne laisse que peu de doute sur l’intention symbolique de ce chantier. Les mandants entendent tourner en dérision la souveraineté militaire des ducs, ainsi que l’efficacité du rideau de forteresses construites sur les Marches pour bloquer une offensive française.
Le rôle symbolique de ces édifices reste important de nos jours encore. La présentation à la presse du château de Nantes, au début de 2007, en fournissait un exemple. L’absence de Jacques Auxiette, président des Pays-de-la-Loire contrastait avec le large sourire de satisfaction de Patrick Maréchal, président du conseil général de Loire-Atlantique et partisan du retour de ce département au sein de la région Bretagne. Nombre de journalistes présents ne purent que plaindre les chargés de communication de monsieur Auxiette, qui avaient été obligés de rédiger un communiqué de circonstance, la région ayant participé aux travaux. On descellait en effet quelque schizophrénie à vouloir nous expliquer que le château des ducs de Bretagne faisait partie du patrimoine commun de tous les Ligériens et qu’il constituait un des grands monuments de leur histoire… Patrick Maréchal confiait, quant à lui, « que le château des ducs était un des symboles de l’appartenance de la cité à la Bretagne, mais que, cependant, l’identité bretonne du département ne se limitait pas à une approche patrimoniale, mais reposait avant tout sur une culture et un sentiment bien vivant. »
Il est d’ailleurs intéressant de constater que, sur les trois grandes résidences des Montfort (Nantes, Suscinio et Vannes), qui étaient tombées en décrépitude, deux ont été rénovées, voir reconstruites dans les trois dernières décennies qui ont également correspondu au renouveau de l’affirmation identitaire bretonne.
Reconstruire, restaurer
Le château de l’Hermine, à Vannes, a été complètement détruit, le bâtiment du XIXe qui le remplace abrite actuellement l’Institut culturel de Bretagne. Le majestueux château de Suscinio, dans la Presqu’île de Rhuys, aurait pu connaître le même sort. Après le passage de François Ier, venu faire enregistrer l’acte d’Union en 1532, il est petit à petit abandonné et se retrouve complètement en ruines au XIXe siècle. Il va être sauvé par l’installation d’un des barons du gaullisme dans le Morbihan : Raymond Marcellin. Celui-ci va mettre tout son poids politique dans la balance pour que les bâtiments soient relevés et reconstruits. Un chantier qui s’est étalé sur de nombreuses années et demeure exceptionnel en France, l’administration des monuments historiques ne préconisant que très rarement la reconstruction à l’identique d’un bâtiment détruit. Non sans une certaine ironie, on constatera que Raymond « la matraque », qu’on ne pouvait guère soupçonner de sympathies pour la cause bretonne et qui, ministre de l’Intérieur, fut un des symboles du jacobinisme et la Cinquième république autoritaire, aura donc été l’artisan de la renaissance d’un des grands symboles de la Bretagne indépendante.
Entreprise dans les années 1990, la restauration du château de Nantes a également demandé un certain temps et ne s’est pas déroulée sans vicissitudes. Ainsi, l’absence de programme de fouilles sur le château a provoqué un certain malaise dans le milieu des archéologues, qui ont du se contenter d’interventions ponctuelles au gré des travaux. Cette restauration aurait pourtant pu être l’occasion d’une vaste recherche archéologique, d’autant que le château du XIIIe siècle et du XIVe siècle est resté bien conservé sous la grande cour intérieure. Il faudra attendre encore longtemps pour voir cette étude se dérouler. Ne boudons cependant pas notre plaisir de voir rénové un tel édifice, chargé d’histoire. Rappelons qu’outre les ducs de Bretagne, ce château a vu la rédaction et la signature d’un des grands textes instaurant la liberté de conscience en France : le fameux Edit de Nantes par Henri IV. Par bien des aspects, il appartient autant à l’histoire de Bretagne qu’à celle de l’Europe.
Symbolique, la mise en valeur des grands châteaux médiévaux pose une dernière question : qu’en faire une fois restaurés ? Comment animer et faire vivre ces lieux ? En général, les propriétaires décident de les transformer en musée. Mais encore faut-il avoir quelque chose à exposer… Suscinio abrite les magnifiques pavements médiévaux découverts dans les douves, ainsi que des expositions temporaires. Nantes y a installé un musée sur son histoire. Certains s’offusqueront de la brièveté de l’évocation du passé antique et médiéval de la cité dans ce nouveau projet muséographique. Mais il convient de rappeler qu’un autre lieu nantais, le musée Dobrée abrite déjà des collections majeures sur ces périodes et sur l’histoire de Bretagne.
On pourra cependant regretter le peu d’allusions aux souverains bretons qui construisirent ce château de Nantes. Le constat ne s’applique pas qu’aux Nantais, il manque toujours un grand musée consacré au Moyen Age en Bretagne, une période recouvrant près d’un millénaire et qui fut pourtant fort riche pour la péninsule.