A la fin de l’Antiquité et au début du Moyen Age, les Bretons traversent la Manche et s’installent dans la péninsule armoricaine à laquelle ils donneront son nouveau nom, la Bretagne. Ils arrivent avec leur clergé, parmi lesquels on trouve de pieux personnages qui fondent, selon des récits plus ou moins légendaires, les premiers évêchés à l’origine de sept des plus anciennes villes de Bretagne.
C’est une époque de rupture : au Ve siècle, l’Empire romain d’occident s’effondre. Des peuples venus d’outre-Rhin s’installent en Europe de l’Ouest, d’autres migrent à l’intérieur même de l’Empire. C’est vraisemblablement le cas de Celtes brittoniques qui quittent la Grande-Bretagne en plusieurs vagues pour s’installer en Armorique de la fin de l’Antiquité au début Moyen Age. Ils sont d’abord venus comme soldats de l’armée romaine, avant de s’installer plus massivement pour échapper à une trop forte pression démographique dans leur île, ou fuir les attaques des Saxons, des Irlandais et des Pictes écossais. Les Bretons arrivent avec leurs familles, leur culture, leur langue – dont dérive le breton actuel – et leur clergé.
C’est un peu le chemin inverse qu’aurait emprunté Patern, dont la mort est située vers 490. Ce gallo-romain aurait en effet été se former en Grande-Bretagne, aurait fondé des églises au Pays de Galles et aurait converti des rois irlandais, avant de revenir dans son pays et dans la vieille cité gauloise des Vénètes. Nommé évêque, il y aurait été un conseiller du roi Caradoc. Même s’il est probable que des communautés chrétiennes organisées existaient depuis longtemps à Vannes, l’hagiographie affirme qu’il fut le premier évêque de la cité. Son culte se développa rapidement.
Paul Aurélien, né vers 450, appartenait lui à l’aristocratie guerrière bretonne qui s’est opposée à l’invasion des Saxons en Grande-Bretagne. Chargé de l’évangélisation des Bretons armoricains, dont une partie de sa famille qui possédait déjà des terres et des villas dans le nord-ouest de la péninsule, Paul Aurélien serait notamment responsable de la destruction du grand sanctuaire païen d’Ouessant, qui existait depuis l’âge du bronze, un épisode confirmé tant par les textes que par l’archéologie.
Les évêchés structurent le territoire
Les Bretons se seraient en effet organisés en sept évêchés (auxquels se rajouteront au IX e siècle, ceux de Nantes et de Rennes conquis par Nominoë, correspondant à d’anciennes capitales de cités gallo-romaines. Ces sept premiers évêchés se sont parfois constitués dans de petites agglomération d’origine gallo-romaine comme à Alet, fondé par Maclou ou Malo, ou Quimper, dont le premier évêque aurait été Corentin. D’autres saints auraient fondé leur propre établissement comme Samson à Dol, Brieuc ou Brioc à Saint-Brieuc, Tugdual à Tréguier et Paul Aurélien à Saint-Pol.
L’existence de certains de ces « saints fondateurs » est peu attestée historiquement, comme celle de Corentin, qui aurait été le premier évêque du Porzay et de Quimper. Il était contemporain du légendaire Gralon, souverain de la cité d’Ys. Mais toute réalité historique n’est pas non plus à exclure. Une petite agglomération s’était développée dans l’actuel quartier de Locmaria jusqu’au IIIe siècle. Plusieurs sanctuaires gallo-romains occupaient les hauteurs du mont Frugy jusqu’à la fin de l’antiquité. Pour les archéologues, les premiers évêques chrétiens ont pu occuper ce sanctuaire et en faire leur résidence.
Des ecclésiastiques venus du pays de Galles
En 535, un moine gallois d’origine noble et d’une famille religieuse – Tugdual, fils de sainte Kupaia – s’installe à l’embouchure du Jaudy où il fonde le Val Trécor ou Landreger, la future Tréguier. Il semble qu’ici, l’agglomération gallo-romaine du Yaudet a été délaissée au profit de la nouvelle petite ville qui se développe autour du monastère. Tudgdual est consacré évêque en 542. En 541, un autre gallois, Maclou, s’installe sur l’île rocheuse en face de la cité d’Alet. A sa mort, un oratoire est construit puis, au XIIe siècle, l’évêque d’Alet décide de transférer l’évêché sur cette île qui va devenir Saint-Malo.
Quarante ans plus tard, arrivant cette fois de Cornouaille britannique, un certain Brioc s’installe sur les hauteurs de la vallée du Gouët, où se trouvaient les vestiges d’un temple païen. Il y fonde une église monastère, à l’origine de la future ville actuelle de Saint-Brieuc dont la cathédrale épiscopale, au Moyen-Age, a servi de forteresse.
Certains de ces « saints » bretons jouent un rôle important dans la politique internationale de l’époque, comme Samson, né dans le Glamorgan gallois et passé par le monastère de Llaniltud Fawr près de Cardiff. Après s’être installé en Cornouailles, il passe la Manche vers la petite Bretagne et s’établit à l’est de la cité des Coriosolites, à Dol-de-Bretagne. Il s’entremet entre le roi franc Childebert et le chef breton Judual. En 560, on retrouve Samson au concile de Paris, ce qui permet d’attester de sa réalité historique. L’évêché qu’il fonde sera élevé à la dignité d’archevêché par Nominoë au Ixe siècle, provoquant un schisme breton qui a duré jusqu’au XIIe siècle.
Un culte qui perdure
Dès le moyen Age se développe un culte qui n’est pas propre à chaque saint, mais aux sept considérés comme les « fondateurs » de la Bretagne et auquel la tradition populaire prête un grand nombre de miracles intervenus notamment autours des sept tombeaux. Il est vrai que de toute antiquité, le nombre sept a eu une forte valeur symbolique, notamment dans la tradition judéo-chrétienne. La Menorah, le grand chandelier du temple de Jérusalem, possédait ainsi sept branches. De même, l’Apocalypse fourmille de référence au nombre sept : « les sept anges qui sont devant Dieu », les sept archanges », les « sept sceaux du livre », les sept tonnerres et les sept fléaux et les « sept Eglises ». Mais ce nombre est également très présent dans d’autres traditions, notamment dans les pays celtiques et elle est inspirée par les observations astronomiques. On remarquera ainsi que la constellation de la Grande Ourse comporte sept étoiles, formant un chariot tournant autours de l’étoile polaire.
Il faut également sans doute voir une forme de patriotisme, dans la profonde dévotion des Bretons dans leurs saints fondateurs, non reconnus par Rome d’ailleurs, et membres d’une église celtique à bien des égards originales. Toujours est-il que leur culte perdure toujours. Surtout, les anciens évêchés de Bretagne continue de structurer la géographie de la péninsule, et ce malgré la création des départements il y a deux siècles. Trégor, Léon, Vannetais ou Cornouaille sont toujours des réalités pour un grand nombre de Bretons.