Ce Nantais, né en 1911, aura eut deux grandes passions, la Bretagne et le théâtre. La première le prend dès l’adolescence, lorsque élève boursier au lycée Clemenceau, il dévore toute la littérature la concernant. Dès 17 ans, il s’engage aussi au nouveau Parti autonomiste breton (PAB), dans le journal duquel, Breiz Atao, il écrit ses premiers articles. En 1932, il « monte » à Paris, mais ses premières années dans la capitale française en pleine crise économique n’ont rien de celles d’un Rastignac. Clochard quelques temps, employé à la Samaritaine, il survit ensuite en pigeant pour quelques magazines et en fréquentant assidûment les coulisses des théâtres. De ces expériences difficiles, il gardera une proximité avec les petites gens, le peuple dont il transcrit si bien le quotidien, qui explique en partie son succès de chroniqueur au Canard Enchaîné.
Mobilisé en 1939, il connaît la débâcle de l’armée française, épisode dont il tirera une partie de son seul roman, Soldats sans espoir. Puis, on le retrouve, une quinzaine de jours, rédacteur en chef de l’Heure bretonne, l’hebdomadaire des nationalistes bretons financé par l’occupant allemand. Il retourne vite à Paris, écrit quelques articles certes culturels, mais qui côtoient les pires logorrhées antisémites, dans Je suis partout et Le petit parisien. Entre 1943 et 1945, sa plume disparaît dans la presse française et, à la Libération, il ne sera jamais inquiété. Après la guerre, il travaille chez Robert Laffont puis devient critique de spectacles pour le magazine Carrefour.
Tout homme a droit à la rédemption. Devenu, en 1952, chroniqueur au Canard Enchaîné, il devient une des plumes les plus renommées de l’hebdomadaire satirique et une des consciences morales de la gauche française. Il ne sont pas si nombreux, les intellectuels qui se livrent l’exercice de l’autocritique. Sur la question du racisme, Morvan Lebesque accepta de s’amender dans une de ses chroniques : « A certaines époques de ma vie, quand je faisais ce que j’appelle mes apprentissages, il m’est arrivé, à moi aussi, de dénigrer la race d’un autre homme. Cet homme, par exemple, m’avait fait du tort, ou je le croyais. Instinctivement, je m’en prenais à son groupe. Cela me rassurait, me donnait une explication, comprenez-vous ? Et puis, plus tard, je revécus en pensée ces moments-là. Et je constatais ceci : tous, sans exception, correspondait de ma part à une réaction de désarroi, de faiblesse ou de sottise. Ergo, par moi-même et nul autre, il sied à une expérience, j’en conclue que le racisme est une défaillance de l’esprit. A présent, j’en suis corrigé, et il me plaît de voir que le monde s’en corrige, lui aussi, peu à peu. Je ne prétends pas être meilleur que mon siècle. »
Auteur de quatre pièces de théâtre, il est aussi un des critiques les plus en vue de la place parisienne. La notoriété littéraire lui viendra avec une biographie de Camus, son modèle et son idole, écrite en 1960 et constamment rééditée depuis. Libertaire et humaniste, au Canard Enchaîné, Morvan Lebesque pourfend les injustices de son temps, devenant un opposant presque professionnel au gaullisme et à l’autoritarisme de la Cinquième république. Ce qui ne l’empêche pas d’être aussi fort critique à l’égard des blocages de la vieille gauche jacobine française ou du totalitarisme communiste. Il s’enthousiasme également pour la révolte de Mai 68, à même selon lui de secouer le carcan d’un Etat qu’il juge bonapartiste et éloigné du peuple, des peuples qui composent la France.
Car, en cette fin des années 1960, Morvan Lebesque a renoué avec son grand amour de jeunesse, la Bretagne. Il se rapproche d’un nouveau mouvement de gauche, l’Union démocratique bretonne pour le journal duquel il écrira une vingtaine de chroniques. Surtout, il publie, en 1969, Comment peut-on être breton ? Essai sur la démocratie française, un mélange de souvenirs personnels et de pensées politiques qui marqueront une génération de militants. « Le breton est-il ma langue maternelle ?, écrit-il. Non : je suis né à Nantes où on ne le parle pas. Suis-je même breton ? Vraiment, je le crois et je m’en expliquerai ; Mais de « pure race », qu’en sais-je et qu’importe ? « Vous n’êtes donc pas raciste ? » - ne m’insultez pas. – Séparatiste, Autonomiste ? Régionaliste ? – Tout cela, rien de cela. Au-delà. – Mais alors, nous ne comprenons plus. Qu’appelez-vous être breton ? Et d’abord, pourquoi l’être ? Question nullement absurde. Français d’état civil, je suis nommé français ; j’assume à chaque instant ma condition de français ; mon appartenance à la Bretagne n’est en revanche qu’une qualité facultative que je puis parfaitement renier ou méconnaître. Je l’ai d’ailleurs fait. J’ai longtemps ignoré que j’étais breton. Je l’ai par moment oublié. Français sans problème, il me faut vivre la Bretagne en surplus ou, pour mieux dire, en conscience : si je perds cette conscience, la Bretagne cesse d’être en moi ; si touts les Bretons la perdent, elle cesse absolument d’être. La Bretagne n’a pas de papiers. Elle n’existe que dans la mesure où, à chaque génération, des hommes se reconnaissent bretons. A cette heure, des enfants naissent en Bretagne. Seront-ils bretons ? Nul ne le sait. A chacun, l’âge venu, la découverte ou l’ignorance. »
Un livre testament aussi, puisque cet homme au parcours complexe dans un siècle qui ne l’était pas moins, meurt à Rio de Janero l’année suivante.
conférence sur Lebesque à Saint-Thégonnec le 8 mars
Morvan Lebesque, une plume sociale