A la fin du XVIIe commence une seconde « guerre de cent ans » entre l’Angleterre et la France qui ne se terminera qu’avec la chute de Napoléon en 1815. Essentiellement maritime, ce conflit fait de la Bretagne une région stratégique et une frontière à défendre. C’est dans ce contexte que Louis XIV demande à son maître bâtisseur, Sébastien le Mestre de Vauban de fortifier le littoral armoricain.
Alors que durant les débuts du règne de Louis XIV, la Grande-Bretagne était restée en dehors des conflits opposant la France au reste de l’Europe, grâce notamment à l’influence d’une bretonne, Louise de Kermoal sur le souverain anglais, la situation change à partir de 1689. Cette année-là, le prince Guillaume d’Orange, souverain de Hollande, ennemi farouche des Français et champion du protestantisme en Europe, monte sur le trône britannique. Il fait basculer le Royaume-Uni – et sa puissante flotte de guerre ! – dans le camp de ligue d’Augsbourg qui fédère déjà une grande partie de l’Europe contre Louis XIV.
La Bretagne se retrouve en première ligne et le roi envoie son meilleur architecte, le célèbre Vauban, pour en assurer la défense. Ce Morvandiau, issu de la petite noblesse bourguignonne avait gagné la confiance du roi par son seul mérite et ses qualités exceptionnelles de stratège. « Ville assiégée par Vauban, ville prise ; ville défendue par Vauban, ville imprenable », disait l’adage. Il s’était déjà rendu à Belle-Ile-en-Mer, en 1686, pour y superviser les travaux d’amélioration de la citadelle du Palais, confisquée au surintendant Fouquet. On lui doit aussi la fontaine fortifiée, en bord de falaise, dite Aiguade Vauban. Il entreprendra également la création de tours fortifiée sur Houat et Hoëdic.
Défendre les grands ports
De retour sur le continent, Vauban passe par Port-Louis et fait un certain nombre de recommandations pour améliorer les défenses de la citadelle de la compagnie des Indes. Il se rend ensuite à Brest, où il étudie les moyens de défendre le goulet et le port. Il lance ainsi les débuts des travaux de la Tour dorée de Camaret. Il envisage aussi de construire un port au Stiff, sur l’île d’Ouessant, projet abandonné faute de crédits. De même, Vauban n’obtient alors pas de financements pour améliorer les défenses de Saint-Malo.
La situation est tout autre en 1693. La flotte française a été presque anéantie à la bataille de la Hougue et les espions de Louis XIV savent qu’un débarquement va avoir lieu. Une première attaque, avec une « machine infernale » - un navire bourré d’explosifs – a lieu en novembre 1693 contre Saint-Malo. L’engin ne tue que des Anglais et les Malouins en font leurs gorges chaudes, mais la cite corsaire a eu chaud. Aussi Vauban entreprend de reconstruire ou renforcer les murailles de la cité médiévale. Il fait également édifier un certain nombre de « forts à la mer », de véritables vaisseaux de pierre défendant tous les accès au port : le Petit Bé, la Conchée, Harbourg… Il se préoccupe également de protéger la zone du Cap Fréhel, propice à un débarquement. Le fort Lalatte est renforcé, une tour est construite aux Ebihens et un phare est chargé de donner l’alerte sur le cap.
La descente de Camaret
Au printemps 1694, Vauban est à Brest dont il réorganise les forces, constituées de quelques troupes aguerries et de milices bretonnes sans expérience. Il les emploie à renforcer les défenses existantes, notamment en creusant des tranchées sur les points de débarquement possibles. « La sueur évite le sang », affirme-t-il. La sentence va se révéler exacte. Le 17 juin, en effet, une escadre anglo-hollandaise est signalée au large d’Ouessant. Forte de plusieurs milliers d’hommes, elle tente de débarquer à Camaret. Au cours d’une bataille rageuse, les assaillants vont laisser plus d’un millier de morts et des centaines de prisonniers. Les troupes de Vauban ne déplorent que quelques pertes minimes, son système de défense côtière ayant parfaitement fonctionné.
L’année suivante, en 1695, les travaux entrepris par Vauban à Saint-Malo se révèleront tout aussi efficaces. Une escadre anglaise s’empare du fort en construction de la Conchée, le plus au large, mais les vaisseaux qui parviennent ensuite à s’approcher de Saint-Malo sont gravement endommagés et doivent renoncer. Les constructions de Vauban sont en effet très dissuasives : le fort du Taureau qu’il fait reconstruire, permettra d’empêcher toute descente ennemie contre Morlaix jusqu’au XIXe siècle.
Un militaire fort civil
En 1699, Vauban effectue une ultime visite d’inspections des places fortes de l’Atlantique. C’est la dernière fois qu’il se rend en Bretagne, où il continuera cependant de veiller à l’avancement des fortifications par le biais des rapports que lui envoient ses ingénieurs. Il meurt en 1707 après être tombé en disgrâce : à la fin de sa vie, il avait en effet préconisé au roi d’instaurer un impôt universel à hauteur de 10 % des revenus, y compris pour la noblesse et le clergé… De quoi s’attirer de nombreux et puissants ennemis ! Honnête homme à la mode du XVIIe siècle, soucieux de d’améliorer le bien commun, Vauban pouvait en effet se révèler un militaire fort civil. Si la Bretagne a souffert de la politique guerrière et expansionniste de Louis XIV qui a pénalisé son commerce extérieur, Vauban lui a légué quelques unes de ses plus belles forteresses, des chefs-d’œuvre d’architecture qui font désormais partie intégrante de son patrimoine.
Pour en savoir plus :
Vauban, Anne Blanchard, Fayard, Paris, 1996. Erwan Chartier, “Vauban en Bretagne”, ArMen n°160, septembre 2007. Vauban et la Bretagne, Fernand-Marceau Flasse, Editions Les amis de la maison Vauban, 2005. Le Taureau, forteresse Vauban, baie de Morlaix, Guillaume Lecuyer, Editions Skol Vreizh, 2005. Le fort de la Conchée, Alain Rondeau, Editions Praxys, 2006.