Le nom d’Anatole Le Braz demeure attaché à La Légende de la mort, son grand succès littéraire. Chantre de la Bretagne, écrivain, journaliste, ethnologue, universitaire, ce natif de Saint-Servais fut à la fois le collecteur passionné de la culture populaire bretonne et le fin observateur des mutations de la péninsule à la croisée des XIXe et XXe siècles.
C’est dans le petit bourg de Saint-Servais, en pleine Bretagne centrale, que naît, le 2 avril 1859, Anatole Le Bras. Il déménagera ensuite vers le Trégor, à Ploumillau, au gré des affectations de son père, instituteur. Il baigne alors dans la civilisation rurale traditionnelle, s’initie à la langue bretonne, s’imprègne de cet univers si particulier où les légendes comme les superstitions font encore partie du quotidien. La mort, les morts y tiennent une place importante, revenant parfois sur terre pour tourmenter ou, plus rarement, réconforter les vivants. Mais l’Ankou n’est pas toujours qu’un conte qu’on raconte aux enfants les soirs de veillée pour les terrifier, il se concrétise parfois, emportant des êtres chers. C’est le cas en ce mois d’août 1869, où le jeune Anatole est confronté au décès de sa mère Jeannie, dans la maison de Ploumillau. Un drame qui le marquera durablement, en annonçant d’autres qui jalonneront sa vie. Quelques mois plus tard, il quitte le domicile familial pour le lycée de Saint-Brieuc où il sera interne. Cet établissement où il a fait ses humanités porte désormais son nom.
Il est un élève brillant et, en 1879, il part pour Paris, au prestigieux lycée Louis Le Grand. Il prépare l’agrégation de philosophie, épreuve à laquelle il devra finalement renoncer, n’ayant pas passé le baccalauréat de sciences. Un échec qui le laisse amer. C’est aussi à cette époque, semble-t-il, qu’il a l’idée de modifier légèrement son patronyme en Le Braz, parce que le « s » de Bras ne se prononce pas en français. Anatole conserve alors l’ambition de se faire un nom dans le milieu littéraire parisien, même s’il va de désillusions en désillusions. En 1884, il est nommé professeur au collège d’Etampe, dans l’Essonne.
Premières collectes
Mais il y a cette Bretagne qui lui manque et l’attire, telle cette sirène de Ouessant qui lui inspirera un récit fameux, Le sang de la sirène. Il revient dans la péninsule armoricaine en 1886, pour enseigner à Quimper. Dans la capitale cornouaillaise, il devient le collaborateur de plusieurs journaux, pour lesquels il écrit des contes qu’il a commencé à collecter et des nouvelles, une première matière qui, retravaillée, fournira la trame de plusieurs de ses ouvrages dont Les Vieilles Histoires du pays breton, les contes du Soleil et de la brume ou les Ames d’Occident. C’est également dans ces années qu’il fait la connaissance de François-Marie Luzel, un autre grand folkloriste breton, avec lequel il s’initie aux techniques de collectage, un exercice dans lequel Le Braz excelle. Le jeune professeur a en effet le contact facile avec les paysans et les marins, gardiens du riche fonds populaire breton et dans lesquels il voit « les plus gentils hommes de notre race ».
Le Braz effectue aussi des enquêtes plus spécifiques, comme celle qui l’amène à étudier les différentes formes que prend la foi chrétienne en Bretagne. Autant ethnologue que journaliste, il en tire des récits précis, servis par un style littéraire limpide. Ces reportages sont ensuite rassemblés dans Au pays des pardons, un autre ouvrage de Le Braz qui contribuera à populariser la Bretagne bien au-delà de ses frontières. A Quimper toujours, le Braz rencontre un certain Jean-Marie Déguignet, dont il publiera partiellement et partialement quelques textes. Les deux hommes se fâchent, Déguignet conservant une rancœur tenace à l’écart de Le Braz qu’il accuse de lui avoir « volé » des contes. Il faudra en tout cas attendre le XXIe siècle pour voir Déguignet publié, avec le succès des Mémoires d’un paysan bas-breton que l’on sait.
La légende de la mort
C’est en 1893 que sort en librairie La Légende de la mort en basse Bretagne, un recueil de différentes légendes collectées par Le Braz. Le succès sera au rendez-vous et le livre sera réédité quatre fois du vivant de son auteur qui, ainsi, commence à connaître la notoriété au-delà des frontières bretonnes. La légende de la mort est donc l’ouvrage majeur de Le Braz, comme il l’est pour toute personne voulant s’imprégner de la civilisation traditionnelle bretonne. Le Braz n’a pas son pareil pour retranscrire l’esprit des contes et des vieilles légendes celtiques, tout en tentant constamment le lecteur contemporain en haleine. Au long de vingt-deux chapitres, il entraîne ce dernier dans un univers inquiétant, où les « intersignes », ces mauvais présages, annoncent leur mort programmée à des vivants incrédules. Point donc, ici, de légendes de chevaliers, de dragons ou de créatures extraordinaires, mais des scènes en apparence quotidienne, où la vie de tous les jours peut basculer dans le macabre et le terrifiant et où l’Ankou rappelle à chacun son destin de mortel. A ne pas forcément lire seul, dans une maison isolée, un soir de tempête…
Le drame de 1901
Le Braz continue lui d’arpenter la Bretagne, de collecter des traditions, d’observer les mœurs parfois si étranges des habitants de cette péninsule qu’il aime tant. Ses écrits lui valent déjà une belle notoriété et l’année 1901 semble sourire à Anatole Le Braz, puisqu’il apprend qu’il est nommé maître de conférence à la faculté des Lettres de Rennes, où il occupera la chaire de celtique, contribuant ainsi à l’ancrage des études bretonnes et celtiques à l’université. C’est d’ailleurs le fait d’aller chercher un logement à Rennes avec sa femme qui le sauve d’un terrible drame, le 20 août 1901.
Ce jour-là, onze membres de la famille Le Braz embarquent pour une promenade en mer à Pleubian. Il y a là son père et sa femme, ses sœurs et ses beaux-frères, ses demi-frères et sœurs. Le temps est incertain et on a annoncé un grain, mais les membres de la famille sont têtus et décident quand même d’embarquer. L’esquif fait naufrage à deux cent mètres de la côte. Il n’y aura qu’un seul survivant, Léon Marillier, beau-frère d’Anatole, qui, paradoxe, était le seul qui ne voulait pas embarquer. Rongé par le remord de n’avoir pas plus insisté, il se laisse mourir dans les semaines qui suivent. Pour Anatole Le Braz, l’épreuve est d’autant plus terrible que la mer va rendre pendant un mois les cadavres. Il faut, à chaque découverte, aller reconnaître les dépouilles et organiser des cérémonies funéraires. Les membres de la famille seront enterrés au cimetière de Tréguier.
Une voix de la Bretagne
Marqué, Anatole Le Braz fera ensuite paraître quelques recueils de nouvelles mais se consacre à des sujets plus universitaires. En 1904, il soutient sa thèse sur le théâtre celtique. A l’université, où il enseignera jusque 1921, il donne des cours sur la matière celtique et sur le romantisme. Anatole Le Braz est considéré comme une des voix de la Bretagne et s’engage. Il est ainsi membre de l’Union régionaliste bretonne, la première organisation politique bretonne fondée en 1898. Régulièrement, ce républicain convaincu prend la défense de la langue bretonne qu’une troisième république cocardière et jacobine entend annihiler. Grand voyageur, il est un des promoteurs des liens interceltiques et il se rend en grande Bretagne et en Irlande où il rencontre plusieurs responsables républicains.
Anatole le Braz est un conférencier hors pair, surtout lorsqu’il s’agit de parler de Bretagne, ce qu’il fait régulièrement à l’étranger, en Suisse, en Angleterre puis, en 1906, une première fois aux Etats-Unis où il rencontre le président Roosevelt. En 1915, il se remarie avec Henriette Porter, une américaine qui décèdera en 1919. Anatole Le Braz passe la majeure partie de la guerre aux USA, où il s’épuise à parcourir le pays de long en large pour convaincre les Américains de rejoindre les alliés français et britanniques contre l’Allemagne, ce qu’ils feront en 1917. En 1915, il perd également son fils Robert sur le front.
Epuisé par les efforts comme par les drames personnels, Anatole Le Braz prend sa retraite prématurée en 1921. Avec sa troisième femme, Mary Davinson, il voyage en Amérique et Egypte. Il travaille à des anthologies. Atteint d’une leucémie, il part se soigner près de la Méditerranée, à Menton. L’Ankou passera jusque là le chercher, le 20 mars 1926, jour où il terrassé par une hémorragie foudroyante à l’âge de 66 ans. Deux ans plus tard, les cendres de celui qui demeure une des meilleures plumes de la littérature bretonne sont rapatriées à Tréguier.
Pour en savoir plus
Yann-Ber Piriou, Au-delà de la légende… Anatole le Braz, Terre de brume, Presses universitaires de Rennes.
Les éditions Terre de Brume ont réédité la plupart des œuvres d’Anatole Le Braz, sous la direction de Dominique Besançon.