Crée en 1381, par le duc Jean IV en souvenir de la bataille d’Auray, l’ordre de l’Hermine est la première décoration honorifique bretonne. Elle est un des rares ordres de chevalerie qui était ouvert aux femmes. Disparue après la fin de l’indépendance bretonne, au XVe siècle, elle est réapparue dans les années 1970. Aujourd'hui, le collier de l’Hermine récompense chaque année quatre personnalités ayant œuvré pour la culture bretonne.
La création de l’ordre de chevalerie de l’Hermine intervient dans un contexte très particulier : les années qui suivent la bataille d’Auray (1361) et la fin de la guerre de Succession de Bretagne. Celle-ci est remportée par Jean de Montfort - le futur duc Jean IV -, qui a les faveurs et l’aide militaire du roi d’Angleterre contre Charles de Blois, soutenu par la France. Auray est un événement décisif dans l’histoire de la Bretagne au Moyen Âge, puisque la nouvelle dynastie des Montfort qui s’installe sur le trône ducal, va n’avoir de cesse de renforcer l’indépendance de la principauté et d’en renforcer les institutions.
Une mode européenne à la fin du Moyen Âge
Pour autant, les premières années du règne de Jean IV ne sont pas de tout repos pour celui-ci. Il doit même s’exiler en Angleterre, entre 1373 et 1379. Or, à Londres, il est le premier prince étranger à être fait chevalier de l’ordre de la Jarretière d’Edouard III. Il n’échappa pas à Jean IV que cet ordre anglais, fondé dans un but militaire, servait en fait les ambitions politiques du roi, qui pouvait ainsi récompenser ses fidèles et ses nouveaux alliés. Gageons que la Jarretière dut donner quelques idées au prince breton.
En fait la création de l’ordre de l’Hermine s’inscrit en fait dans un contexte plus général. La mode pour les ordres de chevalerie en Europe commence au XIVe siècle, avec la création des ordres de l’Étoile en France (1344–1352), du Nœud à Naples (1352), de l’Épée à Chypres (1347) ou du Collier en Savoie (1364). Ce dernier ordre semblant avoir directement influencé Jean IV.
« A ma vie, comme j’ay dit »
Il n’existe pas de textes relatant la création de l’ordre de l’Hermine. Elle dut intervenir après le retour de Jean IV d’exil. Après son entrée dans Nantes, le 22 juin 1381, une assemblée des États de Bretagne fut convoquée. La Chronique de Saint-André nous apprend que de nombreux nobles arboraient les insignes de l’Hermine : « Qui lors portaient nouveaux colliers/De moult bel port, de belle guise/Et estoint nouvelle devise/De doux roletz bruniz et beaux/Couplez ensemble de doux fermaulx/Et au dessoux estoit l’ermine/En figure et en couleur fine/En deux cedule avoit escript :/ A ma vie, comme j’ay dit. » La formule « A ma vie » est la devise de l’ordre. Jean IV l’utilise à plusieurs reprises sur son sceau, dans les années 1380.
Hélas, les statuts originaux de l’ordre ont été perdus. On sait que ses membres engageaient à se réunir annuellement pour une messe à la collégiale de Saint-Michel-du-Champs à Auray. Un clergé permanent, composé d’un doyen et de huit prêtres, servait sur ce monastère édifié non loin du lieu de la bataille. Il en coûtait six cents livres par an au trésor ducal.
Dans une lettre du successeur de Jean IV, son fils Jean V, datée de 1437, il est indiqué que les officiers ducaux avaient l’ordre de poursuivre les héritiers des membres de l’ordre décédés afin de récupérer les colliers. Ceux-ci servaient ensuite à entretenir la chapelle de l’ordre, à Auray.
Ouvert aux femmes
Dès le début, il semble que l’ordre ait été ouvert aux femmes. Jeanne, vicomtesse de Rohan, est l’une des premières à y être admise. Elle laissa son collier à Saint-Michel d’Auray en 1401. Contrairement à une idée reçue, il ne s’agit pas du seul ordre ouvert à des « chevalières ». L’ordre de l’Étole et de la Jarre, fondé par le prince castillan Fernando de Antequerra, en 1403, l‘était aussi.
Un instrument politique
Il est probable que Jean IV ait été entouré de plusieurs chevaliers arborant le collier de l’Hermine, lorsqu’il partit prêter hommage à Charles VI, à Paris, en septembre 1381. Cela lui permettait de montrer une suite luxueuse et de rehausser le prestige de la délégation bretonne. Un prestige d’autant plus nécessaire que, pour affirmer l’indépendance de son duché, Jean IV refusa de prêter l’hommage ligue très contraignant, ce qui provoqua un incident diplomatique avec les conseillers du roi de France.
En fait, pour Jean IV comme pour ses successeurs, l’ordre de l’Hermine s’insère donc, comme le souligneMikaelJones : « Dans une plus vaste stratégie afin de graver de façon indélébile le pouvoir ducal et son symbolisme dans l’imaginaire populaire. » Les ducs ont besoin d’apparat pour affirmer la force de leur dynastie. Ainsi, dans un compte-rendu de 1424, le collier du duc est décrit comme étant une magnifique chaîne en or couverte de bijoux et de perles, à laquelle était attaché un pendant d’hermine, également orné de bijoux. La remise du collier de l’Hermine s’inscrit dans une étiquette de plus en plus élaborée.
Un instrument diplomatique
Vers 1430, des chevaliers anglais et écossais se trouvaient parmi les bénéficiaires du collier ducal. Dans la seconde moitié du XIVe siècle, l’ordre de l’hermine devient moins politique qu’honorifique. Sous le duc François II, il n’est plus conféré que pour des raisons diplomatiques à des ambassadeurs en visite ou pour conforter des alliances. François II qui obtient le classement, par bulle papale, de la collégiale d’Auray, semble n’avoir plus assisté aux messes commémoratives qui s’y déroulaient.
Les autres ordres de chevalerie en Bretagne
L’Hermine n’est pas le seul ordre de chevalerie breton. En 1450, le duc François Ier fonde l’ordre de l’Epy. Il semble cependant qu’il ne s’agisse que d’une variante de l’Hermine. Un témoignage affirme qu’il s’agissait d’un petit anneau supplémentaire sur le collier de l’Hermine, avec des pendants qui étaient des miniatures d’épis de blés.
François II fonda un nouvel ordre, la Cordelière qui concurrença très fortement l’Hermine, notamment sous le règne d’Anne de Bretagne. Après la mort de la reine, en 1514, il fallut attendre 1532, pour que le dernier duc de Bretagne, François III, arbore les insignes de l’ordre. L’Hermine n’a pourtant pas disparu. Il a été recréé au cours des années 1970. Aujourd’hui, tous les ans, il est remis à quatre personnes ayant œuvré pour la Bretagne dans le domaine culturel.
Pour en savoir plus :
« L’ordre de l’Hermine, les devises et les hérauts au XVe siècle »,Mikael Jones, Mémoires de la société d’histoire et d’archéologie de Bretagne, tome LXVIII, 1991.