Pendant trois siècles et demi, au Moyen Âge, la Bretagne a tenté de maintenir des structures ecclésiastiques indépendantes de l’archevêché de Tours et de l’église française. Érigée en métropole par Nominoë, vers 848, Dol de Bretagne est ainsi resté un archevêché jusqu’à la fin du XIIe siècle.
Dans l’église catholique romaine, un archevêché est une province ecclésiastique, réunissant plusieurs évêchés, eux-mêmes divisés en paroisses. Au début du haut Moyen Âge, l’ancienne Armorique dépendait théoriquement de l’archevêché de Tours, même si les rapports conflictuels entre Francs contrôlant l’Anjou et le Poitou et Bretons rendaient cette autorité parfois théorique.
Dans les années 840, le chef breton Nominoë s’affranchit peu à peu de la tutelle des Francs carolingiens. Il bat ainsi militairement le roi de Francie Charles le Chauve. Cette volonté d’indépendance s’accompagne rapidement d’une volonté de contrôle d’une des structures les plus efficaces de l’époque : l’église. En 845, sur l’injonction de l’abbé de Redon, Conwoïon, Nominoë chasse plusieurs évêques de Bretagne au prétexte de simonie, c’est à dire qu’ils auraient vendu des charges ecclésiastiques pour leur profit personnel. Le chef breton les trouve aussi trop inféodés à Charles Le Chauve, d’autant que la métropole de Tours prend partie pour les évêques évincés. L’affaire est portée jusqu’au Saint-Siège. Se défiant de Tours, Nominoë décide alors de créer un archevêché breton, répondant directement à Rome.
À la fin de l’été 848, Nominoë se fait couronner à Dol de Bretagne. Portant le titre de prince des Bretons, il se voit apposer une couronne d’or, donnée par le pape à Conwoïon lors d’une ambassade de celui-ci dans la ville éternelle. Sept évêques y assistent et Dol se voit consacrée comme métropole et centre religieux de la Bretagne. Auparavant, c’était un des plus petits évêchés bretons, fondé en 565 par saint Samson. L’évêché de Dol possède la particularité d’exercer son autorité sur de nombreuses paroisses disséminées et enclavées sur toute la Bretagne, jusqu’en Cornouaille et en Trégor.
Les successeurs de Nominoë vont ensuite s’efforcer de faire perdurer cet état de fait. Dans les années 860, le roi Salomon adresse ainsi trois lettres au pape Nicolas Ier afin qu’il accorde le pallium à l’archevêque de Dol. Il s’agit d’une petite étole de laine blanche à croix noires, un insigne décerné par le pape aux principaux dignitaires de l’église. Malgré les protestations de Tours, plusieurs archevêques de Dol recevront le pallium, dont Festinien, Main et Laouenan aux IXe et Xe siècles.
Dol de Bretagne aura de grands archevêques, comme Laouenan qui fait rédiger une seconde vie de Saint Samson, Ou Baudri de Bourgueil, entre 1107 et 1130, un remarquable intellectuel et poète, qui a probablement commandé la rédaction de la Chanson d’Aiquin, un des plus grands textes médiévaux bretons. En 1109, il a reçu le pallium du pape Pascal II et il a assisté à plusieurs conciles en tant qu’archevêque de Dol. D’autres archevêques de Dol traîneront une réputation moins vertueuse, comme Juthaël, frappé d’anathème par Léon IX lors d’un concile en 1049. Juthaël était en effet marié, avait cédé en dot des terres de l’église à ses filles et avait confié des charges ecclésiastiques contre monnaie sonnante et trébuchante…
Protestations de Tours
Dès le IXe siècle, les archevêques de Tours ne vont pas cesser de protester contre l’érection de Dol en métropole concurrente. Plusieurs mises en demeure sont adressées par le Vatican aux Bretons pour qu’ils retournent dans l’obéissance de l’archevêché poitevin. Une longue tentative de médiation est ainsi menée par saint Bernard dans les années 1140 et 1150, mais rien n’y fait. Pourquoi les papes se montrent-ils assez peu sévères quant à la désobéissance des Bretons à leurs injonctions ? Peut-être comme l’explique un des clercs tourangeaux, dont les propos sont rapportés par Dom Morice dans ses Preuves pour servir l’histoire de Bretagne : « on doit en accuser uniquement la dureté et l’entêtement des Bretons : aucune excommunication, aucune violence n’auraient pu alors les décider à se soumettre à la métropole de Tours : ils eussent plutôt préféré déserter la foi chrétienne. »
En 1154, lors d’une tentative de médiation, Hugues de Tours, archevêque de Dol est humilié à Tours et annonce qu’il se soumet. Les Dolois lui refusent de revenir dans sa ville. Il se retire alors au Mont-Saint-Michel, puis traverse la mer pour recevoir des lettres d’Henri II, roi d’Angleterre, en faveur de Dol. Elles sont adressées au pape Adrien IV, d’origine anglaise. Celui-ci va recevoir Hugues, lui donner le pallium et lui permettre de recouvrer ses prérogatives. En effet, les Anglais voient d’un bon œil cet archevêché indépendant, chapeautant une Bretagne qu’ils contrôlent désormais. Ce qui a pour conséquence d’attirer les foudres du roi de France, Philippe Auguste, contre Dol.
Après la mort du puissant Henri II, en 1189, la protection anglaise décline. En 1190, le pape Innocent III ordonne une enquête. À l’issue de celle-ci, en 1199, il finit par donner raison à Tours et supprime définitivement l’archevêché de Dol. Après trois siècles et demi d’existence, cette métropole de Dol qu’Arthur de la Borderie qualifiait de « notable exemple de l’obstination bretonne » à développer des structures propres, disparaissait, ce qui n’empêchera guère les ducs de Bretagne de mener par la suite une politique de plus en plus indépendante du royaume de France. Quant à l’archevêché de Bretagne, il fut rétabli au XIXe siècle. Il est désormais situé à Rennes.
Arthur de la Borderie, histoire de Bretagne, Coop Breizh, Spézet, 1998.
Collectif, Toute l’histoire de Bretagne, Skol Vreizh, Morlaix, 2004