Richmond est un nom familier à ceux qui s’intéressent à l’histoire médiévale de la Bretagne, celui d’un « Honneur », un fief anglais, aux contours un peu mystérieux, attribué ou confisqué aux ducs de Bretagne au gré de leurs relations avec les souverains de Londres. De cette histoire mouvementée, la petite ville de Richmond, dans le nord du Yorkshire conserve encore un impressionnant château fort, l’un des premiers de Grande-Bretagne construits en pierre.
L’histoire de Richmond, cette riche seigneurie britannique qui a longtemps été une possession des ducs de Bretagne, débute dans une époque particulièrement troublée, une chevauchée de sang, de feu et de fer : la conquête du nord de l’Angleterre par Guillaume Le Conquérant à la fin du XIe siècle. Après la bataille d’Hastings, en 1066, le duc de Normandie s’est rendu rapidement maître du sud-est de l’île. Mais au nord, le royaume de Northumbrie et la ville de York refusent de se soumettre. Après plusieurs expéditions, Guillaume lève une imposante armée qui ravage toute la région, brûle les villes et massacre les populations. Parmi les proches du Conquérant, présents lors de cette « dévastation du Nord », on trouve Alain Le Roux, fils d’Eudon, comte de Penthièvre, et apparenté à la famille ducale de Bretagne. Il est aussi cousin au septième degré de Guillaume Le Conquérant. Les Bretons, et particulièrement les membres de la famille de Penthièvre – dont quatre autres frères d’Alain le Roux - sont en effet nombreux dans l’armée des Normands depuis le début de la Conquête. Alain le Roux se distingue notamment durant le siège de York contre Edwin, earl de Mercie et Waltheof, le gouverneur de la ville.
En récompense de ses services durant la campagne contre la Northumbrie, Guillaume Le Conquérant donne à Alain Le Roux, un vaste ensemble de terres et de propriétés réparties dans toute l’Angleterre et dont beaucoup appartenaient à Edwin de Mercie qu’il avait contribué à faire battre. La chronique de Geoffroi Gaimar, Lestorie des Engles, écrite en normand dans les années 1130 et 1140, évoque ainsi le dont royal :
Richemont li donat en Nort
Bon chastel e bel et fort ;
En plusurs lius en Engleterre
Li Reis li donat de sa terre
Il s’agit de l’« Honneur » de Richmond ; une forme particulière de fief féodale que P Jeulin définit comme un « ensemble de terres rarement groupées, mais la plupart du temps très dispersées dans plusieurs « shires » ou comtés administratifs et réunies sous la seigneurie d’un seul personnage qui en a été gratifié par le roi et d’une manière essentiellement révocable. » Pour la couronne anglaise, Alain le Roux et ses successeurs seront plus des détenteurs que des possesseurs de l’Honneur de Richmond, ce qui explique le peu de scrupules que les souverains britanniques auront à confisquer ces terres. Mais que représente exactement ce fameux Honneur ? La grande enquête menée par la couronne anglaise en vue de recenser le territoire après la conquête, le Domesday, fournit nombre de renseignements. L’Honneur de Richmond ne comprend pas quatre cent quarante manoirs comme cela l’a été parfois écrit, un chiffre qui englobe en fait les terres de trois « Alain de Bretagne » souvent confondus (Alain Le Roux, son frère Alain Le Noir et Alain Fergant, futur duc de Bretagne). Richmond contrôle cependant deux cent vingt-six manoirs et représente le troisième plus riche fief du nouveau royaume. Il s’organise autour d’un noyau de terres, dans le North Riding, la partie septentrionale du Yorkshire et notamment de la ville de Gilling qui en reste le centre jusqu’à la construction du château de Richmond que fait édifier Alain Le Roux sur un « riche mont », une haute colline facilement défendable, bordée de deux côtés par la rivière Swale, dans le nord du Yorkshire. Un deuxième noyau de terres, vraisemblablement confisquées en 1075 à Ralph the Staller s’étend dans le centre et le sud-est de l’Angleterre : Lincolnshire, Norfolk et Suffolk. En 1086, l’Honneur s’étend en tout sur onze comtés anglais, jusqu’à quelques terres isolées dans le Devon. Ses revenus s’élèvent entre 1011 et 1354 livres. Proche du roi dont il fréquente le conseil, intendant de l’armée de Guillaume dans le Maine de 1083 à 1086, Alain Le Roux apparaît en fait comme le principal comte de l’Angleterre orientale.
Un des premiers châteaux forts en pierre
Pour preuve de sa puissance, il fait édifier un des premiers châteaux de pierre du royaume, alors qu’à l’époque, l’architecture militaire se limite la plupart du temps à des mottes féodales, des tours de bois édifiées sur un monticule de terre et souvent protégées par un rempart terroyé. Les bâtiments de la fin du XIe siècle, toujours conservés à Richmond, révèlent une volonté ostentatoire très forte de la part du nouveau seigneur. Alain Le Roux veut sans doute impressionner les populations d’origine saxonne ou scandinave qui ne tardent pas à venir s’installer dans le bourg castral qui prend peu à peu forme au nord-est de la muraille.
Le château du XIe siècle englobe le sommet de la colline de Richmond et forme un vaste triangle dont le versant sud domine la vallée de la Swale. Il est entouré par une muraille en pierre, défendue par six tours rectangulaires. La principale (Robin Hood tower) comporte deux étages. Le rez-de-chaussée est occupé par une chapelle dédicacée à saint Nicolas et qui fut donnée à l’abbaye de Saint-Mary, à York, en 1089. C’est un des très rares exemples de chapelles castrales du XIe siècle en Angleterre. Dans le mur oriental ont été pratiquées deux ouvertures circulaires qui donnent sur la douve. Elles sont séparées par un vitrail rectangulaire au-dessous duquel se situait l’autel. Les côtés de la chapelle sont formés d’une arcade supportée par de petites colonnes romanes. Chaque arche devait servir de sièges pour les occupants du château assistant aux offices. Les murs et les colonnes étaient décorés de motifs rouges.
La partie la plus impressionnante du château du XIe siècle est sans conteste le Scolland’s hall, un vaste bâtiment rectangulaire à l’extrémité sud-est de la forteresse. Il tire son nom d’un intendant nommé Scolland qui exerça sa fonction pendant soixante ans, jusqu’à sa mort, en 1146 ou 1150. Ce bâtiment n’est pas sans rappeler la grande tour du château de Chepstow, au pays de Galles, construit à la même époque. Il se présente sous la forme d’un grand hall rectangulaire et comporte deux étages. Il était surmonté d’un toit en pente, probablement recouvert d’ardoises. Le second étage comporte de larges fenêtres, dont certaines donnent sur la Swale. Il s’agit de la salle d’apparat dont les dimensions témoignent du statut de son constructeur, Alain le Roux, qui fut un moment le prétendant de Maude, fille du roi d’Écosse Malcom. Mais le Penthièvre ne concrétisa jamais ces projets matrimoniaux : Alain décède sans être marié et sans enfant en 1089. C’est un de ses frères, Alain Le Noir, lui aussi vétéran de l’armée de Guillaume le Conquérant qui lui succède pendant quatre ans comme seigneur de Richmond avant de s’éteindre prématurément. Les deux frères ont été enterrés à Bury Saint Edmunds dans le Suffolk.
En 1093, c’est un deuxième frère d’Alain le Roux qui devient comte de Richmond, Étienne, qui est déjà comte de Penthièvre et de Trégor. S’il reste un puissant seigneur en Bretagne, Étienne n’hésite pas à traverser fréquemment la Manche et à se rendre dans ses terres du Yorkshire. À sa mort, en 1137, il est enterré à l’abbaye cistercienne de Bégard qu’il avait contribué à fonder et qu’il avait doté de possessions en Angleterre. Mais, preuve de son attachement à ses possessions d’outre-Manche, son cœur est transporté dans l’abbaye Saint-Mary de York, un établissement religieux dont il avait été le bienfaiteur à l’instar de ses deux frères.
Les terres d’Étienne sont divisées entre ses fils, dont Alain Le Noir, deuxième du nom, qui hérite de l’Honneur Richmond qu’il tente de réorganiser. Mais 1135 marque aussi le début d’une guerre civile qui va ravager le nouveau royaume anglo-normand et qui oppose Étienne, neveu de Guillaume Le Conquérant et l’impératrice Mathilde, femme du puissant comte d’Anjou. Alain Le Noir prend parti pour Étienne qui lui confie un temps le comté de Cornouailles.
Une ville nouvelle
Le second Alain le Noir meurt en 1146 en Bretagne. À Richmond, il laisse la première charte de la ville qui obtient le statut de borough. Car, autour du château s’est peu à peu développée une petite agglomération. Celle-ci s’organise autour d’une grande place centrale où se tiennent les marchés (Market Square) et dont le centre est occupé par l’église paroissiale. Le centre-ville actuel conserve d’ailleurs presque parfaitement le plan de cette ville nouvelle médiévale, avec les rues principales partant en direction des campagnes environnantes et des petites ruelles séparant des blocs de maisons et appelés friars. Certains d’entre elles donnent d’ailleurs sur des poternes du mur d’enceintes dont Richmond conserve quelques tronçons.
Le développement de la ville de Richmond, son opulence, s’expliquent par son marché où s’échangent les marchandises de la région et en particuliers les toiles de laine. L’élevage de mouton est en effet très développé dans le comté. La seigneurie tire aussi des revenus des mines de plomb abondantes dans la région et exploitées depuis l’époque romaine. Si Richmond a attiré des populations rurales des environs, les Penthièvre ont probablement amené avec eux quelques Bretons pour gérer les domaines comme en témoignent des patronymes Gurwant, Guihomar, Harscouet, Hoël, Rualent retrouvés dans les registres anciens. Quelques châteaux des environs sont aussi inféodés à des chevaliers bretons à l’instar celui de Bowes. Si, avec les Penthièvre, des Bretons arrivent à Richmond et y font souche, il ne s’agit en aucun cas d’une colonisation massive et, très vite, ils semblent se fondre dans la population locale.
Richmond dans la famille ducale
Alain le Noir était marié à Berthe, fille unique du duc de Bretagne. Leur fils, Conan, hérite donc de l’Honneur de Richmond en 1146. Berthe se remarie ensuite à un puissant seigneur breton, Eudon de Porhoët qui exerce dans les faits la charge de duc de Bretagne. En 1154, Conan se soulève contre Eudon mais est battu près de Dinan. Il se réfugie alors en Angleterre dans son riche comté de Richmond. Il est proche d’Henri II Plantagenêt, le nouveau roi d’Angleterre. Ce dernier lui affecte quelques troupes et Conan revient en 1156 en Bretagne où il bat Eudon. En 1158, Conan IV devenu duc de Bretagne tente d’empêcher Henri II de s’approprier le comté de Nantes, un temps cédé à Geoffroy le frère d’Henri. Celui menace aussitôt de reprendre Richmond et Conan obtempère car, comme le souligne John Le Patourel « le comté de Richmond valait presque autant pour lui que le duché de Bretagne. » Conan IV peine pour asseoir son autorité sur un duché dont les grands seigneurs ne semblent guère apprécier l’influence croissante des Plantagenêt. Une insurrection, menée par Eudon, revenu en Bretagne, Raoul de Fougères et Hervé de Léon éclate en 1164. Conan IV est, à nouveau, obligé de demander l’aide de l’Angleterre. Henri II envoie une armée normande qui prend Dol et Combourg. Néanmoins, ces troupes se révèlent insuffisantes pour mater la rébellion qui, pendant deux ans, tient tête à Conan IV. En 1166, Henri II se décide à intervenir directement. Pendant plusieurs mois, il ravage le pays de Fougères. Henri II pousse aussi Conan IV à marier sa fille à son troisième fils Geoffroy. Puis, en tant que père du futur duc, il oblige Conan à abdiquer et à lui confier la régence du duché. En plus de la Bretagne, Henri II contrôle tout l’ouest du royaume de France dont l’Anjou et la Normandie.
Le donjon
Pendant quinze ans, le gouvernement d’Henri II en Bretagne est marqué par huit révoltes. Quant à Conan IV, il semble s’être volontiers contenté du comté de Guingamp et, surtout, de Richmond, dont les revenus étaient peut-être équivalents à ce que pouvait lui procurer le duché de Bretagne. Conan est le premier à se prévaloir du titre de « earl » de Richmond. C’est lui qui semble être à l’origine de la construction du plus imposant bâtiment du château de Richmond, son donjon. Il se situe à l’emplacement de la principale entrée de l’entrée de la forteresse au XIe siècle. De cette période il conserve, à sa base et donnant sur la cour intérieure, une arche romane supportée par des colonnes. Elle a été intégrée au vaste édifice rectangulaire édifié par Conan, tout à fait dans la tradition des donjons normands édifiés en Angleterre et sur le Continent et dont le premier exemple connu est la Tour de Londres construite par le Conquérant lui-même. Surmonté de quatre tourelles, le donjon domine le reste du château et la ville de son aspect massif et imposant. Le centre du rez-de-chaussée est occupé par un imposant pilier central, construit au-dessus d’un puits. Celui-ci semble postérieur aux travaux de Conan. Il aurait été rajouté par le roi Edouard Ier, vers 1300. Le premier étage de vastes dimensions, possède lui aussi un pilier central, de forme cylindrique cette fois. Il est éclairé par trois meurtrières qui donnent sur la barbacane extérieure. Il devait servir de hall de réception. Il est surmonté d’un second étage sous le toit du donjon. Un escalier, construit dans le mur sud permettait d’accéder aux étages ainsi qu’au chemin de ronde du sommet.
Après la mort de Conan, enterré comme son père et son grand-père à Bégard, le comté de Richmond et le duché de Bretagne passent, entre 1169 et 1170, aux mains de sa fille Constance et de son époux, Geoffroy. En fait, il semble que Constance administre en mains propres l’Honneur pour lequel elle rend des comptes au chancelier de l’échiquier comme en témoignent le Pipe rolls de l’époque d’Henri II. Geoffroy ne profitera guère de ces titres puisqu’il est tué en 1186, lors d’un tournoi à Paris, laissant deux orphelins, Arthur et Eleanor. Quant à sa veuve, Constance duchesse de Bretagne et comtesse de Richmond, Henri II la remarie à un de ses proches, Ranulf de Chester. Celui-ci se proclame un moment duc de Bretagne, ce que ne supportent guère les nobles bretons qui l’expulsent après la mort d’Henri II. Intriguant auprès du nouveau roi, Richard Cœur de Lyon, Ranulf parvint à faire enfermer sa femme pendant un an et à s’emparer, en 1196, de l’Honneur de Richmond. Constance revient cependant sur le continent, elle fait annuler son mariage avec Ranulf de Chester puis elle épouse Guy de Thouars en 1197, dont elle aura une fille, Alix. L’Honneur semble alors contrôlé par le roi Richard 1er en 1198. Il le lègue l’année suivante à son frère Jean Sans Terre.
Morte en 1201, Constance évite ainsi de suivre la fin tragique de son fils Arthur. Un brillant avenir semble pourtant promis à ce jeune prince : duc de Bretagne, il est en droit de revendiquer le titre de comte de Richmond et peut prétendre à la couronne d’Angleterre. Pour ses contemporains, il pourrait être un nouveau roi Arthur, ce chef breton du Ve siècle, censé avoir régné des deux côtés de la Manche, et dont les Plantagenêt ont favorisé la diffusion du mythe pour asseoir la légitimité de leur dynastie. Mais, c’est sans compter son oncle, le fameux Jean sans Terre, qui parvient à capturer Arthur et qui l’assassine dans une barque sur la Seine, près de Rouen, en 1202. Jean Sans terre confisque l’Honneur de Richmond à son profit, confiant le comté à Ranulf de Chester. Cependant, il semble que Guy de Thouars en profite aussi, puisqu’il paye un droit annuel pour l’Honneur dans les années1203 et 1204.
Mais ce crime a provoqué une violente réaction en Bretagne, dont les barons vont se tourner vers les Capétiens français. Guy de Thouars exerce de 1203 à 1213 la régence du duché pour sa fille Alix. Celle-ci épouse, en 1213, un noble français, Pierre de Dreux, qui devient duc de Bretagne et restera dans l’histoire sous le nom de Pierre Mauclerc. Bien qu'issu de la famille capétienne, le nouveau duc n’entend pas s’aligner sur le royaume de France avec les souverains duquel il entretiendra des relations conflictuelles. Pierre de Dreux espère d’ailleurs récupérer le riche comté de Richmond dès 1215, année durant laquelle Jean Sans Terre lui demande de l’aide pour combattre des barons rebelles. En 1217, le nouveau roi d’Angleterre, Henri III, confie à Pierre de Dreux une partie de l’Honneur de Richmond, sa partie sud. Le nord de l'Honneur et le château de Richmond étant toujours attribué à Ranulf de Chester.
Pierre Mauclerc sera en fait comte de Richmond par intermittence. Ce fief semble désormais devenir un moyen de pression des souverains anglais sur les ducs de Bretagne, ces derniers jouant à l’inverse sur les rivalités entre les royaumes de France et d’Angleterre pour assurer l’indépendance à la péninsule. Ainsi, en 1223, Richmond est confisqué à Mauclerc pour n’être pas venu aider Henri III lors d’une campagne au pays de Galles. Mais, deux ans plus tard, l’Honneur lui est rendu, sauf les villes et château de Richmond. Entre 1227 et 1230, l’Honneur est à nouveau confisqué à Pierre Mauclerc qui, pour le récupérer, va renoncer à ses engagements envers le roi de France. De 1230 à 1234, Henri III le soutiendra contre le royaume de France. Mais l’alliance finit par se retourner. Le 25 février, Henri III se plaint de l’abandon de son vasselage et lui retire Richmond. Pour se venger, Mauclerc arme une flotte de corsaires et attaque les navires anglais. Il y gagne, outre-Manche, une réputation de « pirate exécrable ». S’il est un domaine dans lequel Pierre de Dreux a eu une influence des deux côtés de la Manche, c’est l’héraldique. C’est lui, en effet, qui a introduit les hermines dans les armes de Bretagne, un symbole qu’on retrouve aussi dans le blason de la ville de Richmond.
Après Pierre de Dreux, les huit comtes de Richmond se prénomment tous Jean / John et la plupart sont Bretons. Devenu duc de Bretagne en 1237 après l’abdication de son père Pierre Mauclerc, Jean Le Roux se proclame aussitôt comte de Richmond, titre à bien des égards usurpé. En effet, dès 1241, Henri III confie l’Honneur de Richmond à un de ses favoris, Peter de Savoy, qui le possédera jusqu’en 1366, malgré les protestations bretonnes. À cette date, l’Honneur est enfin concédé à Jean Le Roux mais seulement au nom de son fils aîné Jean qui a été marié à Béatrice d’Angleterre, fille d’Henri III. Jean semble d’ailleurs s’être beaucoup occupé de son domaine anglais. En 1278, il obtient ainsi un droit de foire pour la ville de Richmond. En 1280, on sait que l’Honneur lui rapporte 2843 livres de rentes annuelles. Il devient duc de Bretagne en 1286 sous le nom de Jean II, ce qui l’oblige dès lors à rester la majeure partie du temps sur le continent, délaissant ses possessions anglaises. Entre 1294 et 1298, l’Honneur lui est d’ailleurs confisqué par le nouveau roi Edouard Ier lors d’une guerre entre la France et l’Angleterre.
En 1305, Jean II meurt à Lyon. Edouard I d’Angleterre récupère Richmond qu’il confie non pas au fils aîné de Jean II, le duc Arthur II de Bretagne, mais à son frère Jean. Ce dernier est un proche du roi d’Angleterre pour le compte duquel il a guerroyé en Gascogne et en Écosse. Pendant une vingtaine d’années, Jean de Richmond, connu aussi sous le nom de « John of Brittany » va s’illustrer sous le règne mouvementé d’Edouard II. Il est un des acteurs principaux des guerres écossaises. Richmond est en effet une des principales forteresses du nord de l'Angleterre et participe à la défense de la frontière. Les Écossais qui ravagent régulièrement la région n’y mettront jamais le siège, sans doute rebutés par les difficultés d’attaquer une place forte aussi importante. Même si, en 1319, ils détruisent une localité proche, Myton-on-Swale, dont la population est massacrée. C’est aussi Jean de Bretagne qui accorde, en 1329, aux bourgeois locaux le bourg de Richmond avec son marché et ses assises. Loyal à Edouard II, Jean finit par se ranger aux côtés de sa femme Isabelle de France d’abord puis - après l’assassinat d’Edouard II -, de son fils Edouard III, monté sur le trône en 1327. Jean de Richmond meurt en 1334 en Bretagne.
Richmond revient alors au nouveau duc de Bretagne, Jean III qui obtient le droit de muraille pour fortifier la ville, dont on pouvait craindre que les Écossais la prennent. Cette dépense est financée par des taxes prélevées pendant cinq ans sur les marchandises vendues sur le marché de Richmond. Mais, alors que la guerre de Cent ans débute, Jean III choisit le camp français. En 1340, Edouard III lui confisque donc Richmond avant de le confier à son demi-frère, Jean de Montfort en compensation du comté de Montfort, confisqué par le roi de France Philippe VI de Valois. Jean de Montfort, qui prétend au duché après la mort de Jean III en 1341, est soutenu par les Anglais au contraire de son rival, Charles de Blois, qui s’appuie sur des troupes françaises. La guerre de Succession de Bretagne commence.
En fait, dès 1342, Richmond est géré par John de Gaunt (Jean de Gand), fils naturel d’Edouard III qui réorganise l’Honneur et fait du château un important centre de chasse. Il ne sera vraiment restitué à un duc de Bretagne, Jean IV – fils de Jean de Montfort – qu’en 1372. Ce dernier est sans doute l’un des ducs bretons les plus anglophiles de l’histoire. Il a été élevé à la cour de Londres depuis l’âge de ses trois ans et doit aux Anglais son duché, acquis après la bataille d’Auray en 1364. Il a été marié à Mary, fille d’Edouard III puis, en 1366, à Jeanne Hollande, fille du prince noir, l’héritier du trône des Léopards. 1372 est l’année où Jean IV doit s’exiler en Angleterre après avoir signé un traité anglo-breton qui provoque une rébellion de la noblesse bretonne. Mais, quelques années plus tard, le roi de France croit pouvoir profiter du discrédit de Jean IV et annexer la Bretagne. Il provoque la réaction inverse. Un fort parti de nobles hostiles au rattachement avec la France s’organise et réclame le retour de Jean IV. Ce dernier débarque à Dinard en 1379. Désormais, il préfère rééquilibrer ses relations avec la France et signe le second traité de Guérande, en 1381, ce qui provoque l’ire des Anglais qui lui confisquent Richmond. Il le recouvrira en 1391 jusqu’à sa mort en 1398.
Un échange d’ambassadeurs, en mai 1384, nous éclaire sur les arguments employés du côté anglais et breton, quant à la possession de Richmond. Les ambassadeurs de Jean IV se rendent en effet au manoir de « Clarinton » pour y rencontrer le duc de Lancastre afin d’obtenir une entrevue avec le roi en vue de la restitution de « la comté de Richmond avec les arrerages du temps passé ». Quelques jours plus tard, il leur est répondu que le comté de Richmond n’avait été donné que temporairement au duc de Bretagne et qu’à la condition que ce dernier se montre fidèle à la couronne anglaise, notamment contre le roi de France. « et depuis le Roy Edouard, qui dernier trépassa, par amour et affection l’avait donné et octroyé audit Duc sur certaines formes d’alliance, que devoit etre avec lui et les siens à jamais contre toutes personnes, vivre et mourire et en espécial [spécialement] contre celui qui tenoit et occupoit le royaume de France que il challengeait et qu’il estoit son ennemi, et ci plusieurs fois avaoient été celles alliances gardées et jurées. » La confiscation est donc légitime du point de vue anglais puisque Jean IV a rompu son serment en se rapprochant du roi de France. En réponse, les Bretons avancent des arguments historiques. L’ambassadeur de Jean IV explique que « Messeigneurs vous savez bien et mieux que moi que Monseigneur le Duc a tel et ci bon droit en la comté de Richmond comme le Roy en son royaume et d’aussi longtemps que chose notoire est qu’à la conqueste le Roy Guillaume fut accompagné du duc de Bretagne à partir de la tierce partie de son droit et de la guerre. Et le Duc de Bretagne qui pour le temps estoit, le secourut bien et fist moult mises et dépenses en alle conqueste dudit royaume. » Les Bretons basent la légitimité de la possession de Richmond sur un argument légendaire : l’armée de Guillaume le Conquérant aurait été composée d’un tiers de troupes bretonnes et c’est le duc de Bretagne qui lui aurait permis de remporter la bataille d’Hastings. Ce faisant, ils occultent le rôle des Penthièvre, notamment d’Alain le Roux, parfois confondu avec le duc de Bretagne d’alors, Alain Fergant.
Arthur de Richmond et Gilles de Bretagne
Si Jean Iv finit par recouvrer Richmond, il n’en est pas de même pour ses successeurs. Avec lui prend fin plus de trois siècles de domination de ces territoires anglais par des seigneurs bretons. Bien qu’en fait, entre 1148 et 1398, les ducs de Bretagne n’auront joui de l’Honneur de Richmond que pendant cent vingt-cinq ans, soit la moitié du temps. Il en reste un imposant château et quelques traces éparses dans la toponymie – comme la « French gate », la « porte des Français » dans l’enceinte urbaine.
Pourtant, tout au long du XVe siècle, Richmond reste présent dans les relations entre le duché de Bretagne et le royaume des Léopards. Le nouveau duc, Jean V, essaye de recouvrir le bien de son père. Son frère, Arthur, porte d’ailleurs le titre de comte de Richmond, donné par son père en 1393, même s’il ne mit vraisemblablement jamais le pied dans ce château anglais. Compagnon de Jeanne d’Arc, connétable de France puis duc de Bretagne à la mort de son neveu Pierre, Arthur de Richmond s’est surtout distingué en tant qu’ennemi farouche des Anglais. Jusqu’à la fin du XVe siècle, les ducs de Bretagne jusqu’à Anne de Bretagne porteront le titre de comte de Richmond.
Richmond est ainsi au cœur de la tragique histoire de Gilles de Bretagne. Troisième fils du duc Jean V, Gilles est envoyé à Londres en 1432 où il est élevé en compagnie du futur roi Henri VI. De son séjour de deux ans, il en gardera une profonde anglophilie. En 1443, son frère le duc François Ier l’envoie à nouveau à Londres pour faire valoir les droits ducaux sur le comté de Richmond. Henri VI l’accueille à bras ouverts et le jeune homme brille à la cour où il est nommé « le plus beau chevalier et le mieux formé qu’on eust trouvé en surplus de Bretagne ne ès royaume de France et d’Angleterre ». Si Gilles de Bretagne semble profiter de son séjour, ses hôtes semblent eux, peu disposés à rendre Richmond aux Bretons. D’ailleurs, en 1444, une armée anglaise venue de Normandie prend la Guerche-de-Bretagne qui n’est remise au duc que contre une forte somme d’argent. François Ier rappelle aussitôt son frère Gilles et se rapproche du roi de France. Dès lors, le très anglophile Gilles de Bretagne n’est plus en cour et il se retire dans son château du Guildo, dans l’estuaire de l’Arguenon, qu’il tient de sa femme Françoise de Dinan. Là, il reçoit régulièrement des émissaires anglais, venu de la Normandie voisine. Henri VI lui fait miroiter le comté de Richmond pour sa propre personne et l’assure de son aide en cas de querelle avec François Ier. Conflit qui ne tarde guère : en 1447, Gilles de Bretagne est arrêté. Transféré de prison en prison, il échoue au château de la Hardouinaie, dans la forêt de Merdrignac, de 1449 à 1450. Victime d’une tentative d’empoisonnement hourdie par Arthur de Montauban, un fidèle du duc, il sera finalement étouffé sous un matelas. Informée de son calvaire, la population bretonne en fait un martyr, tandis que son frère, François Ier dont le rôle dans son assassinat reste ambigu, meurt à son tour, trente-quatre jours plus tard.
Une Bretonne en Angleterre
Après la fin de l’indépendance bretonne et l’union du duché à la France, toute revendication sur Richmond disparaît. Pourtant, l’histoire entre le comté du Yorkshire et la Bretagne ne s’arrête pas là et de nouveau liens s’établirent à la fin du XVIIe siècle grâce à une jeune femme née au château de Keroual, à Guilers près de Brest. Louise de Penancoët de Keroualle, beauté de 19 ans, arrive à Versailles en 1668. Louis XIV ne reste pas insensible aux charmes de cette Bretonne devenue demoiselle d’honneur de la duchesse d’Orléans, Henriette. Mais plutôt que d’y goûter, il préfère les employer. La duchesse d’Orléans est en effet la sœur du roi d’Angleterre, Charles II. Or, si le souverain anglais n’apprécie guère les Français, il adore les femmes et collectionne les maîtresses. En 1670, lorsque Louise de Keroualle débarque à Douvres dans la suite de la duchesse d’Orléans, comme prévu, Charles II en tombe éperdument amoureux. On dit qu’à Louise venue lui offrir un présent de la part de sa sœur, le souverain aurait soupiré, transis, en la désignant : « voilà le seul bijou que je désire ! ».
Cependant, Louise de Keroualle a de la vertu. Rentrée en France et quelque peu ébranlée par les sollicitations de Charles II, elle songe à rentrer au couvent. Louis XIV l’en dissuade. Il voit tout le profit qu’il aurait à placer une de ses sujets auprès du roi d’Angleterre. Quelques semaines plus tard, Louise traverse à nouveau la Manche. Elle ne doit guère avoir de doutes de ce qui l’attend : « conseillez à cette demoiselle de consentir tout ce que le roi désire », écrit Louis XIV à son ambassadeur à Londres. En 1671, au cours d’une fête à Euston, Louise devient la maîtresse de Charles II et, un an plus tard, elle donne naissance à un fils, Charles Lennox. Son royal géniteur adore l’enfant et le couvre de titres. C’est ainsi qu’en 1675, Charles Lennox devient duc de Richmond. Dix ans plus tard, sur son lit de mort, Charles II marqua une dernière fois son affection à son fils illégitime qui est maintenu dans ses titres par le nouveau roi James II. Le vieux château du Yorkshire est resté en possession des descendants de James Lennox jusqu’en 1910, lorsqu’il a été cédé à l’État britannique avant d’être confié à English Heritage, un organisme de gestion des monuments historiques. Charles Lennox est à l’origine de la lignée des ducs de Richmond dont le dixième représentant porte toujours le titre.
Quant à la ville de Richmond, tout lien n’a pas été coupé avec la Bretagne. Depuis quelques années, un projet de jumelage avec Saint-Aubin-du-Cormier, en Ille-et-Vilaine a vu le jour, cette dernière localité ayant été créé par Pierre de Dreux, duc de Bretagne qui se vit attribuer et confisquer si souvent cet « Honneur de Richmond » à l’histoire étonnante. Une histoire qui relie, comme souvent à travers les siècles, relie petite et grande Bretagne.
Remerciements à Davy French pour l’expédition, la découverte et la visite de Richmond et du North Yorkshire.
Pour en savoir plus :
Mémoires de la société d’Histoire et d’archéologie de Bretagne, tome LVIII, (1981). Wilmart (A), « Alain Le rouge et Alain Le Noir », Annales de Bretagne, XXXVIII (1929), p 576-595. Jeulin (P), « Un grand Honneur anglais, aperçus sur le « comté de Richmond en Angleterre, possession des ducs de Bretagne », Annales de Bretagne, XLII (1935), p 265-302. Richmond and district civic society, 2001. Goodhall (PhD), Richmond castle and Easby Abbey, English Heritage, London, 2001. Morris David, The honour of Richmond, a history of the lords, earls and dukes of Richmond, William Sessions Limited, York, 2000.