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Histoires de Bretagne

Un blog d'Erwan Chartier-Le Floch

Brève histoire du CELIB

Publié le 23 Février 2009 par Erwan Chartier-Le Floch in Mouvement breton

L’histoire politique de la Bretagne dès années 1950 aux années 1970 a été profondément marquée par le comité d’Etudes et de Liaison des Intérêts Bretons (CELIB), une structure qui a œuvré au développement économique de la région tout en préfigurant une certaine forme de décentralisation.

En 1947 paraît Paris et le désert français, dans lequel l’auteur, Jean-François Gravier dénonce les excès de centralisation administrative et politique et leurs conséquences dans l’économie. Son ouvrage, qui rencontre un large écho, préconise de nouvelles politiques en matière d’aménagement du territoire. Il est vrai qu’en ces débuts de quatrième république, la centralisation de la France est à son apogée. Les structures régionales n’existent pas et le territoire reste découpé en départements, où les préfets assurent réellement le pouvoir, les compétences comme les possibilités d’initiative des conseils régionaux étant très limités. Outre le pouvoir politique, la capitale concentre la majeure partie des emplois de décision en matière économique. De même, la quasi-totalité des sièges sociaux des grandes entreprises se trouvent à Paris qui continue à se développer et à attirer de nouvelles populations.

 

Retard économique

Cet excès de centralisation est particulièrement ressenti comme une injustice en Bretagne, où la plupart des notables conservent une inclinaison girondine. Dans les années 1920 et 1930, la région a connu une certaine agitation autonomiste puis nationaliste. Mais les compromissions avec l’occupant allemand d’une bonne partie de ces nationalistes dans les années 1940 ont durablement discrédité tout mouvement politique breton dans l’après-guerre. A la fin des années 1940 et dans les années 1950, la critique du centralisme français va donc d’abord s’exprimer dans les milieux économiques.

Il est vrai que la Bretagne de l’époque est en pleine mutation. En premier lieu, son agriculture demeure encore très traditionnelle et doit se moderniser, phénomène qui va encourager l’exode rural. De manière générale, la région est également très en retard en matière d’équipements. Dans les campagnes, par exemple, le pourcentage de foyers privés d’électricité est très supérieur à la moyenne française. En 1952, seuls 60 % des Bretons y ont accès. Le réseau routier est limité, ce qui contribue à marginaliser encore plus l’ouest de la péninsule. Chez les élus bretons et les décideurs économiques, se fait jour l’idée qu’il faut réagir et organiser une réaction pour assurer le développement de la région.

 

La création du CELIB

Le 22 juillet 1950, un groupe de personnalités lancent une structure, le Comité de liaisons des intérêts bretons, qui deviendra rapidement le Comité d’Etudes et de Liaisons des Intérêts Bretons (CELIB). On retrouve parmi les fondateurs Joseph Martray, Joseph Halléguen et, surtout, René Pléven. Ce dernier est alors l’un des grands leaders du centrisme français et l’un des poids lourds politiques en Bretagne. Il sera deux fois président du conseil de la quatrième République. L’objectif du CELIB, rapidement présenté comme un « lobby breton » est d’encourager le développement économique de la Bretagne, d’en faire une région prioritaire en matière d’aménagement du territoire, de la sortir de son isolement intellectuel et matériel, de lutter contre l’exode et de rétablir un solde migratoire positif, de maintenir et de développer son héritage culturel.

Lors des élections législatives de 1951, le CELIB interpelle les candidats et leur propose de créer un intergroupe parlementaire. Seuls les communistes refusent cette proposition. Le 30 octobre 1951, le CELIB se structure en association et reçoit des financements de collectivités locales, dont les cinq départements de la Bretagne historique. René Pleven en est le président et il est assisté de trois vice-présidents ; Paul Ihuel, député du mouvement républicain populaire (MRP) du Morbihan, d’André Morice, député radical de Loire-Inférieure (devenue aujourd’hui la Loire-Atlantique) et de François Tanguy-Prigent, député socialiste du Finistère. Les parlementaires bretons se réunissent une fois par mois.

Peu à peu, le CELIB réussit donc à mobiliser au delà des clivages politiques traditionnels. Selon Michel Nicolas, « l’originalité du CELIB réside dans sa réussite sur trois plans : l’union des forces vives en Bretagne, l’efficacité des pressions sur le pouvoir et la qualité reconnue de sa réflexion. » Au milieu des années 1950, il va réussir à réunir la plupart des parlementaires bretons, les conseils régionaux, les élus de mille deux cents communes, dont les maires des grandes villes bretonnes, les syndicats, les organisations patronales, les chambres de commerce et d’industrie, des universitaires et les associations de défense de la langue et de la culture bretonne.

En 1952, un rapport sur l’aménagement de la Bretagne est présenté par le CELIB. Il sera utilisé quelques années plus tard par le gouvernement Guy Mollet pour l’élaboration d’un programme d’action dans les régions. Grâce à l’action du CELIB, en juillet 1956, un premier programme d’action régional est publié. Il évoque les dossiers prioritaires que sont le développement de l’agriculture, les activités maritimes, l’industrialisation, le développement du tourisme. Pour y aboutir, une Société de développement de la Bretagne et une Société d’économie mixte pour l’aménagement et l’équipement de la Bretagne sont créées en 1957. Des ultimatums sont aussi régulièrement adressés au pouvoir lorsque les blocages demeurent trop importants. Ils sont parfois suivis d’effet, notamment en matière agricole.

 

Une loi-programme pour la Bretagne

Le CELIB est alors à son apogée, mais le renversement de la quatrième République, l’arrivée au pouvoir du général de Gaulle et la création de la cinquième République changent la donne. Le nouveau pouvoir se méfie de cette structure. Il entend « centraliser la décentralisation » et reprendre les choses en main. En1959 sont donc créées vingt-une régions programmes, dont les Pays-de-la-Loire qui englobent la Loire-Atlantique, détachée de la Bretagne. En 1962, l’assemblée générale du CELIB adopte une loi-programme pour la Bretagne, rédigée par le géographe Michel Phlipponneau. Mais le gouvernement français ne la prend en compte et refuse de la financer. En 1964 sont créés les Commissions de développement économique régional, CODER. Ils sont réglementés de manière très stricte. C’est le préfet qui les convoque et un quart des membres sont nommés par le pouvoir. En Bretagne, les notables se rallient. René Pleven est élu président du CODER et Joseph Martray en devient le premier secrétaire, ce qui entérine le déclin du CELIB en tant que structure originale. René Pleven, amer, déclare cependant en février 1964 : « Oui, c’est vrai, nous avons été trompés. Mais je préfère pour ma part être du coté de ceux qui se sont trompés que du côté de ceux qui se trompent. »

Le CELIB connaitra cependant un regain d’activité à la fin des années 1960. Plusieurs de ses animateurs obtiendront ainsi un certain nombre de concession dans la foulée de mai 1968 (le plan routier breton, la création d’une université à Rennes, le port de Roscoff…), alors que le pouvoir craint une extension de la contestation étudiante. En 1971, un nouveau CELIB, animé notamment par le maire de Brest, Georges Lombard, lance un livre blanc pour la Bretagne. Mais, cette nouvelle structure n’aura pas l’influence du CELIB des années 1950-1960. Elle est réactivée en 1977-1978, puis disparaît.

Quel bilan tirer de l’action du CELIB ? En matière économique, il a permis une large mobilisation des forces vives de la Bretagne. Il a accompagné la région dans les transformations radicales qu’elle a connue depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Sous-développée au début des années 1950, la Bretagne est devenue l’une des régions agricoles les plus performantes d’Europe. L’installation d’usines importantes, comme Citroën à Rennes ou les entreprises d’électronique dans le Trégor, ont permis de fixer l’exode rural en Bretagne et de créer de nouvelles richesses. Les infrastructures, routières notamment, se sont considérablement améliorées. En critiquant de manière active le centralisme français, le CELIB a également préparé l’opinion publique à la régionalisation et à la décentralisation. Il a enfin contribué à faire reprendre confiance aux Bretons. Preuve de son influence, les leaders politiques bretons ne cessent depuis de faire appel à « l’esprit du CELIB », comme récemment Jean-Yves Le Drian, pour mobiliser les énergies régionales.

 

Encadré. Michel Phlipponneau, le géographe du CELIB

Né le 11 mai 1921 à Clamart, Michel Phlipponneau est décédé le 4 novembre dernier à Rennes. Agrégé de géographie, docteur ès lettres, il est nommé à la faculté de Rennes en 1950, où il restera professeur jusqu’à sa retraite en 1985. En 1952, il devient un membre actif du CELIB, auquel il va fournir d’importantes études, notamment, en 1956, un Inventaire des possibilités d’implantations industrielles en Bretagne, qui a été utilisé pour permettre l’implantation de nombreuses entreprises et pour créer les premières zones industrielles en Bretagne, à Vannes et Loudéac notamment. Il est également le rédacteur du projet de loi-programme pour la Bretagne en 1961. Universitaire et intellectuel reconnu, il est une des têtes pensantes du CELIB auquel il donne de solides arguments et analyses lors des négociations avec les représentants de l’Etat. En 1967, il rompt avec le CELIB auquel il reproche son apolitisme et s’engage clairement à gauche, en prenant sa carte au parti socialiste. En 1973, il devient conseiller général d’Ille-et-Vilaine puis, en 1977, premier adjoint du nouveau maire de Rennes, Edmond Hervé. Michel Phlipponneau sera président du district de Rennes, où il pourra faire valoir ses idées en matière de politique de la ville, qu’il avait théorisé dans Changer la vie, changer la ville. Il s’éloignera ensuite d’Edmond Hervé qu’il critiquera durement pour son projet de métro dans les années 1990. Spécialiste de géographie appliquée, Michel Phlipponneau était reconnu internationalement, notamment en matière de politiques régionales, un thème auquel il a consacré plusieurs ouvrages.

 

Pour en savoir plus :

Michel Nicolas, Histoire de la revendication bretonne, Editions Coop Breizh, Spézet, 2007

Jean-Pierre Cressard, Quand la Bretagne s'est réveillée, CELIB 1950-2000, Coop Breizh, Spézet, 2000,

Jacqueline Sainclivier, La Bretagne de 1939 à nos jours, Éditions Ouest-France, Rennes, 1989.

 

 

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C
<br /> Le CELIB est une très bonne chose!<br /> <br /> <br />
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