C’est sur le mont Beuvray, cette montagne du Morvan que s’est développée Bibracte, l’une des plus grandes cités de la Gaule. Outre un site historique et naturel exceptionnel, on peut aujourd’hui y suivre l’évolution des fouilles ou visiter le vaste musée consacré à la civilisation celtique.
Située au cœur de grands axes européens depuis l’Antiquité, entre le sud et le nord du continent, la Bourgogne est une région particulièrement riche en vestiges de la civilisation celtique. C’est non loin de Châtillon-sur-Seine que le site de Vix a ainsi été mis au jour ; Il constitue l’un des plus importants du premier âge du Fer européen (entre le viiie et le vie siècle avant notre ère) découvert. Vix est connu grâce à l’impressionnant cratère d’origine grecque qui y a été découvert dans une tombe princière. C’est également en Bourgogne qu’est situé l’imposant oppidum d’Alise-Sainte-Reine, considéré comme le site de la bataille d’Alésia qui devait mettre fin à l’indépendance gauloise. C’est enfin dans les montagnes boisées du Morvan que se situe un autre site extraordinaire, le mont Beuvray où, aux iie et ier siècles avant notre ère, se situait Bibracte, l’une des plus importantes agglomérations de la Gaule indépendante et le centre politique et économique du peuple des Eduens.
La guerre des Gaules
Bibracte apparaît dans l’histoire à travers le récit que fait César des opérations militaires qu’il a menées en Gaule dans les années 50 avant notre ère. En 58 avant J.-C., la partie occidentale de la Celtie est en ébullition. Les Germains menés par Arioviste menacent certaines tribus gauloises, dont les Helvètes se trouvant dans l’actuelle Suisse. Ces derniers décident de migrer en masse vers la Saintonge et doivent traverser le territoire de différents peuples, dont les Eduens occupant une partie de la Bourgogne, eux-mêmes en conflit avec deux autres grands peuples, les Séquanes (Franche-Comté et Alsace) et les Arvernes (Auvergne). Or, les Eduens entretiennent des alliances déjà anciennes avec Rome. Ils sont même désignés comme Fratres consanguineique populi romani, “frères du même sang que le peuple romain”, au Sénat de Rome. Pour faire face aux Helvètes, les Eduens demandent donc l’aide des Romains qui contrôlent déjà la Provence et César prend ce prétexte pour intervenir en Gaule, avec les conséquences que l’on sait. En 58, César inflige une sévère défaite aux Helvètes qui sont contraints de rebrousser chemin. La bataille a lieu à quelques kilomètres de la capitale des Eduens, Bibracte. Pendant les six années qui suivent, César va peu à peu conquérir le reste de la Gaule et effectuer deux campagnes dans l’île de Bretagne. Peu avant la première campagne outre-Manche, César fait d’ailleurs exécuter Dumnorix, chef de la cavalerie éduen, qui avait décidé de regagner son territoire et se montrait de plus en plus critique vis-à-vis des Romains.
En 52 avant J.-C., un jeune aristocrate arverne, Vercingétorix, prend le pouvoir et remporte la bataille de Gergovie. Une partie des Eduens se rallie alors au chef arverne. La même année, lors d’une grande réunion entre les délégués des peuples gaulois, Vercingétorix est proclamé chef suprême à Bibracte. Quelque temps plus tard, il s’enferme dans l’oppidum d’Alésia où César l’assiège, puis le capture mettant fin à l’indépendance de la Gaule. De nombreux Eduens ont soutenu Vercingétorix et ont été faits prisonniers. Alors que les captifs d’autres peuples sont vendus à l’encan, César libère les prisonniers éduens, afin de s’assurer à nouveau du soutien de ce puissant peuple. Il s’installe à Bibracte, où certains historiens estiment qu’il a rédigé une partie de la Guerre des Gaules.
Les Eduens ont donc été les alliés des Romains lors de la conquête. Mais un fort parti d’entre eux a finalement pris faits et cause pour l’indépendance gauloise. Surtout, c’est à Bibracte qu’a été scellée l’union des peuples gaulois contre Rome. Un symbole important et évident, qui sera par la suite récupéré par un nationalisme français plus obsédé par la notion toute relative d’unité que par la vérité historique. Oubliant par là d’ailleurs, que le territoire français actuel ne correspond pas à celui de la Gaule et que la civilisation celtique dans laquelle s’inscrit Bibracte, s’étend alors sur une grande partie de l’Europe.
Dans son récit, Jules César nous livre quelques renseignements sur l’organisation politique des Eduens. Ils avaient un Sénat, où siégeait un représentant de chaque grande famille. Un magistrat, le vergobret, était désigné pour un an et n’avait pas le droit de sortir des frontières de la cité. Il n’était donc pas un chef militaire, mais exerçait des fonctions judiciaires et administratives. Certains chercheurs estiment donc qu’il devait exister un système d’archives, très probablement à Bibracte, avec un cadastre, des écrits fiscaux, des registres de commerce, des testaments et des actes de mariages… Écrites sur des supports périssables, il n’en reste rien. Mais Bibracte devait abriter des bâtiments publics pour les conserver. Comme de multiples sociétés antiques, dont Rome, les hauts magistrats éduens devaient aussi exercer une fonction religieuse. Le seul druide gaulois dont nous conservons le nom, Diviciacos, est un Eduen et il a exercé la fonction de Vergobret. Selon César, dont il était l’ami, il était également chef de guerre et diplomate.
Une archéologie européenne
Apparaissant à plusieurs reprises dans la Guerre des Gaules, Bibracte a bien entendu attisé la curiosité des premiers antiquaires et historiens. Dès la Renaissance, ils se sont querellés sur la localisation de la capitale des Eduens, certains penchant pour Autun, d’autres avançant que la cité gauloise se trouvait dans le Morvan, sur le mont Beuvray alors baptisé Bevrect. Mais il faudra attendre le milieu du xixe siècle pour qu’un érudit local, Jean-Gabriel Bulliot s’intéresse de près au mont Beuvray et le fouiller à partir de 1867. En 1895, il passe le relais à son neveu, Joseph Dechelette qui mènera onze campagnes de fouilles, jusque 1907. Ces deux hommes vont reconnaître les remparts gaulois de la cité et fouiller plusieurs îlots d’habitation. Des milliers d’objets vont également être mis au jour. Bulliot a laissé de nombreux plans, relevés, photographies et carnets de note qui constituent toujours une documentation exceptionnelle pour les chercheurs d’aujourd’hui. Fouilleur sans doute moins méticuleux, mais grand voyageur et homme de synthèse, Joseph Dechelette a pour sa part une intuition géniale en comparant les objets découverts dans quatre grands oppidums européens : Manching en Bavière, Velem-Szendvit en Hongrie, Stradinece en Bohême et le Beuvray. Il en fait un tableau comparatif, illustrant de manière claire les similitudes entre les fibules, les rouelles, les pièces d’harnachement ou la vaisselle retrouvées dans ces lieux séparés par plusieurs milliers de kilomètres. Il est le premier à mettre en évidence l’existence d’une civilisation commune à une grande partie du Continent durant l’âge du Fer, celle des Celtes, qui occupaient alors un vaste territoire allant des Balkans et du Danube, jusqu’aux îles britanniques et à la péninsule ibérique.
Dechelette est tué au front pendant la Première Guerre mondiale. Le Beuvray retombe dans l’oubli jusqu’aux années 1980, lorsqu’un ancien parlementaire de la Nièvre, maire de la ville voisine de Château-Chinon, devient président de la République. François Mitterrand va décréter le Beuvray “site national”, une appellation inventée à l’occasion de sa visite le 17 septembre 1985 où il décrit Bibracte “haut lieu de la civilisation celtique européenne”. Dès 1984, les recherchent archéologiques avaient reprises. Un centre archéologique, pour abriter les fouilleurs et leurs trouvailles, ainsi que pour favoriser la recherche voit le jour dans la commune voisine de Glux-en-Glenne. Depuis vingt-cinq ans maintenant, des équipes européennes fouillent un site qui a bouleversé notre compréhension de la civilisation gauloise. Glux-en-Glenne abrite désormais le “centre archéologique européen” de Bibracte.
Une importante agglomération gauloise
À quoi ressemblait la Bibracte de la fin de l’indépendance gauloise ? Les nombreuses fouilles permettent de se faire une idée plus précise, même s’il reste beaucoup à découvrir et que la configuration de nos agglomérations modernes nous permet difficilement d’appréhender la perception que les Celtes de l’Antiquité se faisaient de l’urbanisme. Située sur une hauteur, Bibracte est avant tout un lieu fortifié. Bulliot avait reconnu un mur d’enceinte, entourant toute la montagne sur plus de cinq kilomètres. L’espace ainsi clos représente cent trente-cinq hectares, une surface considérable lorsqu’on sait que la ville close de Saint-Malo, par exemple n’en couvre qu’une vingtaine. Mais, en 1986, une équipe composée d’Allemands et de Suédois, chargée de vérifier le tracé de l’enceinte en a découvert une seconde, englobant la précédente. Ce nouveau rempart mesurait près de sept kilomètres, pour une surface close de deux cents hectares ! Les archéologues n’étaient pas au bout de leur surprise puisque cette nouvelle enceinte avait été édifiée au milieu du iie siècle avant notre ère, avant le rempart intérieur. À un moment donné, sans qu’on en comprenne la raison exacte, Bibracte s’est donc rétractée.
Les remparts de Bibracte sont un exemple classique de ce que les Romains nommaient le murus gallicus, le “mur gaulois”, un type de fortifications que l’on retrouve dans toute l’Europe celtique. Le mur était monté sur une armature de poutres de bois, liées par de longs clous de fer, avec un parement soigné en pierre. L’intérieur du rempart, entre les poutres, était comblé par des pierres et de la terre. Il devait s’élever à quatre ou cinq mètres du sol et un fossé fournissait une protection supplémentaire. Ne serait-ce que pour édifier le rempart intérieur de Bibracte, il a donc fallu déboiser plus de cent hectares de forêt, utiliser entre dix et vingt mille mètres cubes de terre et de pierraille, forger et planter près de soixante mille clous, soit une trentaine de tonnes de fer ! Les archéologues ont reconstitué une partie du mur d’enceinte à la porte du Rebout, l’une des entrées principales de Bibracte, ce qui permet au visiteur de se faire une assez bonne idée de ces “murs gaulois”, très efficaces puisque la pierre résistait au feu, alors que l’élasticité du bois permettait d’absorber les impacts des engins de siège.
Les fouilles ont également dévoilé une partie de l’organisation spatiale de Bibracte. Après la porte du Rebout, une voie centrale traversait l’oppidum. Il existait également des voies secondaires. Les archéologues ont également mis au jour de nombreux bâtiments d’habitation ou d’artisans. Il devait exister des bâtiments publics, à vocation culturelle ou administrative, mais aucun n’a été identifié clairement pour l’époque gauloise. Certains points d’eau, comme la fontaine Saint-Jean comportant plusieurs bassins et recouverte d’un toit, avaient probablement une vocation religieuse. On devait également trouver de vastes espaces libres, sans doute destinés à l’agriculture.
Un centre industriel et commercial
Bibracte était relativement peuplée. Certains chercheurs avancent cinq mille habitants comme hypothèse basse, mais elle a pu abriter une population plus nombreuse. Centre politique et sans doute religieux du pays Eduen, Bibracte était également un pôle économique. Les archéologues ont ainsi retrouvé, près de la porte du Rebout dans le secteur de la Côme chaudron, de nombreux bâtiments liés au travail des métaux, un art dans lequel les artisans celtes étaient réputés. Il s’agit de véritables pâtés de maisons, séparés par des venelles étroites. Pour les chercheurs, au ier siècle avant notre ère, Bibracte était devenue un grand centre métallurgique, comme si les Eduens avaient volontairement regroupé, en un lieu fortifié, les meilleurs artisans. Les produits devaient ensuite être commercialisés dans la ville ou au cours de grandes foires et marchés.
Un autre indice de l’activité économique de Bibracte réside dans les dizaines de milliers d’amphores retrouvées. D’autres sites, jusqu’en Armorique, ont montré l’importance des échanges entre le monde romain et la Gaule indépendante à travers, notamment, le commerce du vin. Nul doute que ces échanges ont également favorisé les contacts diplomatiques. Vu les liens entre les Eduens et Rome, il n’est donc guère étonnant que d’énormes quantités de vin aient transité par Bibracte. Une partie de ces amphores a d’ailleurs été réutilisée pour la voirie et le sol d’habitations.
Les Gaulois construisaient leurs bâtiments en bois et en bauge, des structures périssables qui ne laissent guère de traces. Ce qui n’exclue en aucun cas une architecture complexe, les maisons à pans-de-bois du Moyen Âge en attestent ! Après la Conquête romaine, l’architecture change. Un vaste bâtiment public est ainsi édifié. Il ressemble aux basiliques romaines et il occupe un terrain où ont été retrouvés des indices de festins - des événements à caractère rituel chez les Celtes - qui auraient eu lieu entre 120 et 50 avant J.-C. Après la Conquête, Bibracte se romanise donc, avec des monuments de pierre. Cependant, certains d’entre eux se rattachent incontestablement à la civilisation celtique. C’est ainsi qu’a été mis au jour un vaste bassin de forme oblongue qui était situé au milieu de la voie principale. Il a été édifié suivant des mesures indigènes (le “pied gaulois” qui s’établit alors à 30,4 cm), et suivant des considérations astrologiques complexes. L’axe du bassin est ainsi aligné sur le coucher du solstice d’été et du lever du solstice d’hiver. Édifié en 40 ou 30 avant J.-C., ce bassin est l’un des plus intrigants et des plus étonnants monuments de l’Antiquité celtique.
De vastes demeures sont également bâties sur un plan méditerranéen jusqu’aux années 10 avant notre ère. Elles cohabitent avec des habitations de type gaulois jusqu’au grand bouleversement de l’époque Augustéenne et au transfert de la capitale vers Autun, à une trentaine de kilomètres dans la plaine. Les Eduens semblent alors avoir abandonné Bibracte en une ou deux décennies, même si leur ancienne cité à longtemps conservé un certain prestige. Dès les débuts de notre ère, les habitations sont cependant abandonnées. Mais certaines traditions et cultes ont pu perdurer. Ainsi, jusqu’au xixe siècle, de grandes foires se tenaient sur le mont Beuvray.
Tombé dans l’oubli, le Beuvray s’est réveillé il y a quelques décennies. Sous les truelles des archéologues, qu’on peut voir en action l’été venu, tout un pan d’une civilisation complexe et riche est en train d’émerger. Un vaste musée, très moderne, permet également de l’appréhender à travers des reconstitutions et des objets trouvés à Bibracte. Des maquettes permettent de comparer différents oppidums européens. On y présente également des guerriers celtes avec leur équipement reconstitué, l’intérieur d’une maison gauloise ou un atelier d’orfèvre. Inauguré en 1994, sa muséographie devrait prochainement être repensée. Rien d’étonnant puisqu’en quinze ans, les recherches sur la civilisation celtique de l’Antiquité, notamment les phénomènes urbains, ont considérablement progressé. Chaque année, une grande exposition sur un aspect de la civilisation celtique y est montée. Celle de 2009 sera consacrée au site de la Tène, en Suisse.
Le musée de la civilisation celtique est avant tout une porte d’entrée pour découvrir un site archéologique exceptionnel, mais difficile à comprendre en raison de l’absence de vestiges monumentaux. Il donne donc quelques clefs pour découvrir Bibracte qu’on rejoint ensuite en gravissant sur plusieurs centaines de mètres à travers la forêt puis les espaces de fouilles et enfin le sommet du Beuvray qui offre un panorama superbe sur le Morvan et la Bourgogne.
Bibliographie : Christian Goudineau, Christian Peyre, Bibracte et les Eduens, Éditions Errance, Paris, 1993. Anne-Marie Romero, Bibracte, archéologie d’une ville gauloise, centre archéologique européen de Bibracte, Glux-en-Glenne, 2006.